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Lusaces et la Marche de Brandebourg, il lui donnera bientôt la Hongrie. La Bohême était devenue sous lui la grande puissance de l’Allemagne. Il voulait plus encore, il voulait faire de tous les états allemands une grande monarchie comme la monarchie française, et que la Bohème en fût le centre. Pour assurer la durée de son œuvre, il donna à l’empire une constitution plus précise, cette fameuse bulle d’or, qui réglait la succession au trône impérial et s’efforçait de prévenir la guerre et l’anarchie. En même temps il continuait d’agrandir la Bohême, afin que par sa puissance et sa richesse elle pût commander toujours le choix des électeurs, et devenir, comme l’Autriche plus tard, la dépositaire obligée de la couronne. C’était Prague qui devait être la capitale de l’empire, et comme il prévoyait que les antipathies de race seraient un obstacle à ses desseins, il avait inséré dans la bulle d’or un article spécial qui mettait le slave et l’italien sur le même rang que la langue allemande. La suprématie de la Bohême était donc la préoccupation de toute sa vie. Il n’a pas réussi ; qu’importé ? Il a réussi du moins à faire de son cher royaume un foyer de lumière et de gloire. Savant lui-même, passionné pour les arts, versé dans toutes les langues de l’Europe, il comblait d’encouragemens les écrivains et les artistes. Après l’université de Paris, il n’y avait pas d’école plus illustre au XIVe siècle que l’université de Prague ; d’elle aussi on aurait pu dire, en répétant les paroles d’un pape, qu’elle était « l’arbre de science dans le jardin du paradis, la lampe allumée dans la maison du Seigneur. » La sollicitude de Charles IV pour les travaux de l’esprit s’étendait au-delà de ses frontières ; il salua un des premiers l’aurore charmante de la renaissance italienne, il protégea Pétrarque et Boccace. Le docte Marignola, qui revenait du fond de l’extrême Orient, fut chargé par lui, nous l’avons vu plus haut, de raconter l’histoire de Bohême. S’il n’y eut pas de Pétrarque dans la langue encore mal débrouillée des peuples slaves, ce n’est pas à l’empereur d’Allemagne qu’il faut en faire le reproche. Ce grand mouvement littéraire qui se déploya un siècle plus tard sous l’influence de Jean Huss et des controverses religieuses, il avait essayé de le faire naître, et dans un ordre d’idées tout différent, étant attaché par ses sincères croyances, autant que par sa prudence politique, à la vieille tradition religieuse du moyen âge. Il aimait l’ordre avant toute chose, il avait le plus vif sentiment de la grandeur, et, encore une fois, malgré l’insuccès final de ses rêves, c’était là une belle période pour la Bohême, quand elle voyait un de ses enfans gouverner si habilement l’empire au milieu de l’affaissement général des contrées allemandes, et devenir par sa bulle d’or le législateur d’une anarchie séculaire.

Voilà certainement un des épisodes les plus instructifs dans cette