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germaniques ! M. Palacky ne va pas jusqu’à adopter l’opinion d’un savant bohème du XIIIe siècle, Thomasius, qui place Wenceslas IV au rang des martyrs ; il interprète seulement avec beaucoup d’érudition et de finesse les contradictions d « ce règne si difficile à connaître. Le rôle de Wenceslas dans le grand schisme de l’église, l’attitude qu’il garde entre les rois de France et d’Angleterre pendant cette guerre qui durera tout un siècle, ses intentions élevées, ses irrésolutions, son indolence, l’appui qu’il donne d’abord à Jean Huss et qu’il lui retirera bientôt, tout cela s’explique naturellement dans une narration attrayante et lucide. Un des patriotes de l’école de Pétrarque, Antoine de Lémaco, écrivait de Vérone à Wenceslas en 1382 pour stimuler son insouciance : « Quoi ! un anti-pape s’est levé ! Louis d’Anjou, qui le soutient, a mis la main sur l’Italie ! et pendant ce temps-là, au lieu de déployer toutes les forces de la Bohême et de l’empire, tu passes ton temps à chasser les bêtes fauves des forêts ! Non decet herclè, ut apud latinos fama vulgatur, sylvestres adversus feras et aves le noctes et dies pueriliter terere ; hominibus, non bestiis prœfectus es. » Hélas ! d’autres difficultés plus pressantes vont exiger de lui une résolution d’esprit qu’il n’a pas. L’anarchie est partout : l’empire ne reconnaît plus de chef, et la féodalité, abattue par Ottocar II, ébranle le trône de Bohême. Sans pouvoir réel en Allemagne, Wenceslas pense un instant à abdiquer la couronne impériale. Le lendemain, ce sont les seigneurs de Bohême qui se révoltent contre lui : arrêté sur une grande route, à quelques milles de Prague, un jour qu’il se promenait à cheval avec ses courtisans, il est jeté en prison, où il passe plusieurs mois. Quelque temps encore, et nous le verrons captif une seconde fois aux mains du duc d’Autriche. Sombre, irrité, en proie au sentiment de sa faiblesse et de sa honte, Wenceslas demande des consolations à l’ivresse. La postérité l’a appelé Wenceslas l’Ivrogne ; des écrivains allemands et italiens, reproduits par tous les historiens de l’Europe, le représentent comme un Néron, un Héliogabale, et il n’y a pas d’accusations infâmes, — pillages, violences, assassinats, raffinemens de débauches et de cruautés, — qu’on ne fasse peser sur cette mémoire maudite ; M. Palacky en fait surtout un prince faible qui succomba sous un fardeau trop lourd.

Je voudrais seulement que M. Palacky expliquât d’une façon plus nette comment s’est formé sur Wenceslas IV le jugement qu’il combat. Si ce portrait est fidèle, c’est encore la haine des Allemands contre les Slaves de Bohême qui a inspiré les historiens : ne fallait-il pas suivre, pièces en main, le travail croissant de la calomnie ? Ne fallait-il pas démasquer et flétrir les faux témoins ? Quand on compare ce règne de Wenceslas, tel que M. Palacky le raconte, à cette