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ses deux fils, Wenceslas et Sigismond, déroutés par une révolution inattendue et incapables d’une politique sérieuse, avaient laissé crouler les assises du brillant édifice.

Cette période si décisive dans l’histoire de la Bohême, comment s’étonner que M. Palacky la soumette à une minutieuse enquête, et qu’il songe plus au nombre et à l’exactitude des renseignemens qu’à la dramatique beauté de son tableau ? Au moins, si l’art est absent, la science est pleine de richesses. Que de lumières, que de précieux détails inconnus jusqu’ici ! Comme le concile de Bâle, espèce de réparation du concile de Constance, est expliqué dans ses mystères ! Et enfin quelle façon ingénieuse de comprendre et de juger le règne de l’empereur Sigismond ! L’enthousiasme n’était pas nécessaire ici ; la tristesse même du patriote devait aiguiser la sagacité de son intelligence, et M. Palacky, admirateur si passionné de Charles IV, juge si indulgent de Wenceslas, est certainement dans le vrai quand il se contente d’emprunter le portrait de Sigismond aux mémoires de Sylvius Œneas. Ce portrait, tracé d’une plume si spirituelle par celui qui devait être bientôt le pape Pie II, se termine par ces mots où se peint bien l’étrange légèreté du roi de Bohème : « Un jour qu’il était à Rome, auprès du pape Eugène IV : Très saint père, lui dit-il, il y a trois choses où nous différons absolument. Vous dormez la grasse matinée ; moi, je me lève avant le jour. Vous ne buvez que de l’eau ; moi, je ne bois que du vin. Vous fuyez les femme ; moi, je les poursuis. Mais il y a trois choses aussi qui me sont communes avec vous. Vous prodiguez vos richesses ; moi, je ne sais rien garder. Vous avez de mauvaises mains ; moi, j’ai de mauvais pieds. Vous ruinez l’église ; moi, je ruine l’empire. » L’homme qui parlait si gaiement de sa funeste action sur les affaires d’Allemagne, c’était celui qui avait attiré Jean Huss au concile de Constance, en lui donnant un sauf-conduit, celui qui avait provoqué sa condamnation et son supplice, celui qui avait irrité la colère vengeresse de Ziska, et amené par là cette longue guerre des Hussites, la gloire et le tourment de la Bohème ! Avec lui finit cette dynastie des Luxembourg qui avait failli assurer aux Tchèques la suprématie politique au sein de l’empire. Le fils de Charles IV meurt sans laisser de fils, et son gendre, Albert d’Autriche, qui lui succède sur ces deux trônes, est le chef de la dynastie nouvelle sous laquelle périra l’indépendance nationale du pays des Prémysl.


III.

M. Palacky a bien des drames encore à raconter après cette date funeste. Les troubles du XVe siècle, la soumission de la Bohême à