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2 décembre, et qui, après avoir été interprétées en commun par la France, l’Angleterre et l’Autriche, sont l’objet des délibérations de la conférence de Vienne. Maintenant la Russie acceptera-t-elle définitivement ces propositions, dont elle a déjà sanctionné le principe ? Là est le grand problème. Les garanties réclamées par l’Europe sont assurément fort modérées ; mais enfin, dans leur article principal, elles résument la moralité de la guerre actuelle, et cette moralité, c’est une réduction de forces pour la Russie, c’est une l’imitation de sa puissance dans la Mer-Noire. Sur ce point reposent aujourd’hui toutes les difficultés, comme cela était à présumer, et la meilleure preuve qu’il n’est point si aisé de concilier l’intérêt européen et l’intérêt russe, c’est que les esprits les plus désireux de la paix s’épuisent, depuis quelques jours, en combinaisons sans obtenir d’autre résultat que de démontrer la gravité de la question. Diminution des forces navales de la Russie, création d’établissemens maritimes européens dans la Mer-Noire, ouverture des détroits et liberté de la navigation de l’Euxin, transformation de Sébastopol en port de commerce, — on a le choix entre ces diverses combinaisons. Par malheur, quand on a énuméré tous ces moyens, on n’a point résolu la difficulté.

Quoi qu’il en soit, il est un fait supérieur dans ces travaux diplomatiques qui se poursuivent à Vienne, c’est l’intention sérieuse des puissances occidentales de se rendre à une transaction équitable, d’accepter une paix qui serait de nature à sauvegarder les droits et les intérêts de l’Europe sans blesser trop vivement la fierté de la Russie. Le cabinet de Petersbourg est-il dans les mêmes dispositions ? En définitive, que décidera-t-il au sujet de ce principe de la limitation de la puissance russe, auquel il a cependant souscrit ? Les représentans du tsar à la conférence attendent, dit-on, des instructions nouvelles, et c’est peut-être une particularité assez étrange que cette demande d’instructions sur une question certainement fort prévue et définie d’avance. Malheureusement depuis quelque temps les actes du cabinet de Petersbourg ne sont point empreints d’un grand esprit de conciliation, il parait même y avoir en Russie un redoublement d’ardeur belliqueuse, et l’appel du saint synode au peuple russe au nom de la foi orthodoxe n’est pas le symptôme le moins significatif de ces tendances. Le roi de Prusse s’est adressé, assure-t-on, d’une façon pressante à l’empereur Alexandre, en lui représentant que s’il laissait échapper une occasion favorable de conclure la paix, l’Allemagne pourrait être entraînée vers les puissances occidentales, et la Prusse elle-même se trouverait dans une position difficile. Le roi Frédéric-Guillaume aurait même engagé le tsar à envoyer M. de Nesselrode à Vienne ; mais le chancelier de Russie ne semble point devoir faire le voyage pour assister aux conférences, et peut-être ici encore est-il permis d’en conclure que le cabinet de Pétersbourg est peu disposé à faire à l’Europe les concessions sans lesquelles il n’est point cependant de pacification possible. Ainsi, on le voit, dans l’œuvre de cette conférence qui tente aujourd’hui le dernier effort de conciliation, tout ne se présente point sous un aspect favorable et facile. Les positions se dessinent avec une extrême netteté dans ce demi-jour des négociations diplomatiques. Sous une forme ou sous l’autre, l’Europe ne réclame que ce qu’elle n’est plus même libre de ne pas réclamer, une fois le conflit