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de cœur, et les hommes en auraient moins : non pas que héritage matériel soit la vie du cœur, mais il représente les traditions du foyer, le travail du père pour ses enfans, le lien de la famille, le culte du lieu natal, c’est-à-dire tout ce qui fait battre le cœur, toutes qui élève une âme humaine, — et en développant toute cette partie morale de l’homme, il entretient les sources d’où peut jaillir la poésie elle-même dans ce qu’elle a de plus sacré et de plus émouvant. C’est en abollssant ces élémens féconds que M. Du Camp prétend rajeunir l’inspiration poétique !

Dans quelle mesure l’innovation et la tradition peuvent-elles se combiner dans la poésie ? Il n’est point de règle qui puisse le dire, sans nul doute. C’est l’inspiration seule qui peut trouver cette secrète et juste combinaison, en puisant non pas dans un monde entièrement fondé sur des rêves, mais dans le monde intime de l’âme, dans les sentimens qui s’y agitent, dans la lutte profonde des passions, dans tous les instincts mystérieux du cœur que font vibrer les spectacles de la vie ou de la nature. La poésie recueille les sentimens et les exprime ; elle ne les crée pas et ne les invente pas. C’est parce qu’elle a méconnu cette vérité que la littérature contemporaine s’est jetée trop souvent dans les voies de l’exception, où se débattent encore quelques imaginations capricieuses, tandis que des esprits justes et sérieux restent fidèles aux traditions de la poésie. M. de Laprade est un de ces esprits qui garde intacte les plus pures notions de l’art et de la vie morale. Il en a le culte, et ce culte passe dans ses vers, — dans ceux qu’il publie aujourd’hui sous le titre de symphonies, comme dans ceux qu’il a écrits précédemment, — en leur donnant un reflet généreux. Ce titre même de Symphonies indique assez l’esprit des poésies nouvelles de M. de Laprade. C’est comme un résumé harmonieux des murmures et des grandes voix de la nature. Ou passe tour à tour d’une symphonie alpestre au concert des saisons ; on écoute alternativement le bruit du torrent et la voix qui parle dans l’herbe. Il serais même vain de dire qu’au progrès réel se révèle dans les vers de M. de Laprade en un certain sens. L’auteur des Symphonies a toujours aimé la nature, et, comme ceux qui l’aiment, il tendait parfois à s’y absorber, et pouvait se laisser aller aux périlleux attraits d’un panthéisme vague et mystérieux. Sa poésie elle-même en portait le reflet ; elle était comme l’expression de l’âme universelle des vallées et des montagnes. À mesure que inspiration s’est dégagée et mûrie, elle a pris plus de netteté, et a restitué à chaque chose son rang et sa place dans l’ensemble des êtres vivans. L’instinct profond de la nature n’a point disparu, mais il s’est réglé, et l’élément humain a pris plus de place dans la poésie de l’auteur ; il n’est resté qu’un idéal flottant sur les spectacles naturels. Un des caractères du talent de M. de Laprade, c’est une certaine élévation sérieuse et pure qui n’a jamais plus de puissance que quand il reproduit les plus intimes mouvemens du cœur les sentimens de la famille, comme dans cette pièce, — À mon père, — par laquelle s’ouvrent les Symphonies. Merveilleuse manière d’exprimer que l’élément humain est le premier, et que dans le cœur où tous les instincts des beautés naturelles vont se réveiller pour se traduire en poésie, il y a avant tout le culte des affections morales ! Ce sont les plus vieux