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Silistrie a été aussi imposé malgré lui au maréchal Paskiévitch, que c’est le dépit de se voir perpétuellement contrarié dans tout ce qu’il voulait faire qui l’a décidé à abandonner le commandement de l’armée, et même on affirme que la blessure qui a servi de prétexte à sa retraite n’a jamais existé.

Les alliés n’avaient cependant pas attendu l’effet que le traité du 20 avril 1854 devait produire à Saint-Pétersbourg pour commencer les hostilités. Dans la Baltique, la flotte anglaise, qui, dès le mois de mars, avait franchi les Belts, s’avançait dans l’est au fur et à mesure que l’adoucissement de la température lui ouvrait le passage, et en attendant qu’elle pût aller montrer son pavillon dans les eaux du golfe de Finlande, elle faisait une chasse active à tous les navires russes. Dans la Mer-Noire, la flotte combinée avait reçu le 10 avril la nouvelle de la déclaration de guerre avec de grands transports d’enthousiasme, et dès le 22 elle cherchait à Odessa la réparation d’un outrage commis contre un parlementaire. C’est là que les premiers coups de canon furent échangés. L’affaire en elle-même eut assez peu d’importance, comme le disait avec bon goût l’amiral Hamelin dans son rapport, mais seulement parce que les amiraux de la flotte combinée n’ont pas voulu lui donner de plus grandes proportions. De ce qu’on s’est attaqué seulement au port et aux établissemens publics, les généraux russes ont prétendu dans leurs bulletins une foule de choses extraordinaires. Peut-être sont-ils excusables, parce qu’ils ignoraient ce qu’on voulait faire et les limites que les amiraux avaient eux-mêmes imposées d’avance à leur action. Peut-être cependant seront-ils détrompés un jour, lorsqu’on écrira l’histoire de cette guerre, lorsqu’ils pourront lire le projet de combat arrêté d’avance en conseil, et qui semble être le compte-rendu exact de tout ce qui s’est passé le jour même de l’action, tant l’exécution du programme a été complète. Rien de plus, rien de moins que ce qu’on avait voulu.

C’était le commencement des hostilités, mais ce n’était pas encore la guerre réelle, la guerre qui produit des résultats à la suite desquels on est obligé de faire la paix. Si la guerre n’était pas le moyen, cruel sans doute, mais le seul souvent qui soit possible pour arriver à la paix, ce serait certainement le plus grand crime des nations. La flotte russe, en refusant toute offre de combat, en restant dans ses ports, à la grande déconvenue de nos marins, en ne voulant pas se risquer, même lorsqu’on lui présentait la bataille à infériorité de nombre et de force pour nous, remettait le sort de la guerre aux mains des armées de terre. C’était à elles d’agir. Or, quand il fut bien acquis que le passage des Balkans par les Russes serait considéré par les puissances allemandes comme un casus belli, lorsque les événemens de la campagne que les Russes faisaient alors dans la