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avait de mieux à faire, et peut-être la seule chose que l’on pût faire. On discutera les moyens que l’on a employés, on contestera le talent des généraux, la prévoyance des gouvernemens, l’habileté des administrations; on blâmera la fameuse marche tournante sur Balaclava, et peut-être aura-t-on raison : sur tous ces points, il y a beaucoup à dire; mais je ne sais pas encore une bonne raison à donner pour prouver qu’après le siège de Silistrie et la retraite des Russes les armées alliées ont pu songer à autre chose qu’à l’expédition de Crimée, ou que même elles auraient pu ne la pas faire. Je persiste à croire que le projet était bon, qu’il a déjà produit des résultats utiles et avantageux, et, pour n’en citer qu’un, on doit regarder, par exemple, comme un résultat important d’avoir convaincu la Russie qu’on lui faisait une guerre sérieuse, et de l’avoir amenée à accepter en principe le protocole du 28 décembre.

Examinons en effet les diverses hypothèses que l’on a pu mettre en avant.

On dira peut-être que ce qu’il y avait à faire après la levée du siège de Silistrie, c’était de conserver sa position à Varna et d’attendre; mais attendre quoi? Ce n’est pas une solution qui doive être prise au sérieux. Qui pourrait avoir assez de candeur pour imaginer que la Russie aurait songé à traiter avec vous, parce que vous seriez restés à Varna? Les semblans de propositions qu’à la date du 29 juin le comte de Nesselrode adressait à l’Autriche n’étaient-ils pas dérisoires? et si vous aviez voulu y entendre, quel rôle ridicule n’auriez-vous pas joué ! Ce n’était pas à Varna, c’était à Toulon et à Portsmouth que vous auriez dû rester. Mais lorsqu’après plus d’un an de négociations où l’Europe avait épuisé tous les moyens de conciliation, deux puissances comme la France et l’Angleterre ont tiré l’épée, est-ce pour la rentrer dans le fourreau quand elles sont arrivées en présence de l’ennemi, en attendant qu’il lui plaise de négocier ou de se moquer d’elles? Qui oserait dire que deux puissances de cet ordre peuvent entrer dans une guerre contre la Russie sans devenir par le fait les principaux belligérans, sans être appelées, à raison même de leur grandeur et de leur état militaire, à prendre la première place sur le champ de bataille, à supporter le plus gros et le plus pesant de la guerre? Vraiment il eût fait beau voir que la France et l’Angleterre laissassent tout le poids de la difficulté sur les épaules des Turcs ! Dans quel abîme de déconsidération ne seriez-vous pas tombés, et la belle paix que vous auriez faite, si même il avait plu à l’ennemi de la faire, et comme il se serait gardé d’abuser de la patience dont vous lui auriez donné une preuve si édifiante!

On dira encore que si l’on devait faire quelque chose, c’était dans les principautés et dans la Bessarabie, ou bien dans le Caucase qu’il