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commencement, fut vantée comme un trait de génie, a été depuis critiquée avec une vivacité qui ne fait que s’accroître. Je ne saurais avoir la prétention de juger, entre les deux opinions extrêmes qui se sont prononcées à ce sujet, mais j’essaierai de les résumer chacune en exposant les principaux argumens sur lesquels elles s’appuient. Cette réserve est d’autant mieux imposée à un écrivain qui n’est pas du métier, que chacune des deux opinions a de très bonnes raisons à faire valoir pour se justifier.

Pour quiconque a jeté les yeux sur les innombrables cartes et plans qui ont été publiés depuis un an, et nous devons supposer que tous nos lecteurs sont dans ce cas, l’idée d’attaquer Sébastopol par le côté nord après la victoire de l’Alma est celle qui se présente comme la plus simple et la plus naturelle. En effet, le côté nord de la place n’était couvert à cette époque que par un ouvrage isolé, un fort octogone capable de contenir et de loger une garnison de quatre mille hommes au plus, établi sur un plateau de peu d’étendue, mais d’un relief très élevé et du haut duquel on peut envoyer presque impunément des boulets et des bombes sur toute la rade et sur la moitié peut-être de la ville construite de l’autre côté de la baie. Une fois maîtresse de ce point, l’armée alliée couvrait de ses feux la flotte et l’arsenal ennemis, elle atteignait le véritable but de l’expédition, qui était de détruire les élémens de la puissance maritime la Russie dans la Mer-Noire, car sans doute alors on ne rêvait pas l’occupation permanente de Sébastopol et encore moins la conquête de la Crimée. Ce qui devait rendre ce plan d’attaque d’autant plus séduisant, c’est que, ne pouvant songer à l’investissement de la place avec le petit nombre de troupes dont on disposait, et pressé d’ailleurs d’arriver vite à un résultat, on pouvait, grâce aux circonstances topographiques, s’approcher très près de ce fort par le nord et par l’est sans avoir rien à. redouter de ses feux; c’est que pour l’emporter, dût-on entreprendre un siège régulier, on n’avait de travaux à faire que sur un arc de cercle de 5 ou 600 mètres de développement. Circonstance non moins importante pour une armée qui avait encore à débarquer tout son matériel, on devait ainsi se croire certain de pouvoir ouvrir une brèche sur l’un des saillans avec un nombre de canons comparativement très réduit. Pour tout le reste, les conditions devenaient à peu près égales entre les deux armées, car tous les ouvrages qui existaient alors sur la rive septentrionale de la baie de Sébastopol et qui baignent leur pied dans ses eaux, le fort Constantin, les batteries de Sivernaia, etc., ne pouvaient absolument rien pour concourir à la défense du fort du nord; lorsqu’on l’eût occupé, ils étaient réduits par le fait même à l’impuissance définitive; on n’avait plus en quelque sorte qu’à laisser tomber du haut