Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/494

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas même certain qu’elles n’aient point franchi le seuil, et ce n’est que sur le dire des Arabes que les ingénieurs de l’expédition ont affirmé qu’elles n’avaient pas pénétré dans le bassin des lacs amers. A l’époque où les environs du lac Timsah étaient peuplés et cultivés, les eaux du Nil y étaient certainement portées par des canaux; il n’était donc besoin ni d’études, ni d’opérations graphiques pour reconnaître la possibilité de jeter les eaux du Nil dans le bassin des lacs amers; il suffisait de les livrer à elles-mêmes pour leur voir franchir le col de Serapeum, et il est extrêmement probable que ce fait se renouvelait dans toutes les crues très élevées. Une fois ce résultat constaté, n’est-il pas tout simple qu’on ait essayé de prolonger la navigation du Nil jusque dans le bassin des lacs amers, et faut-il s’étonner que les premières tentatives de ce genre se perdent dans la nuit des temps?


V. — HISTORIQUE DES TENTATIVES FAITES POUR CANALISER L’ISTHME.

Il est donc à peu près certain que les premiers travaux de canalisation de l’isthme remontent à une époque très reculée, et c’est ainsi que s’expliquent la tradition arabe qui reportait au premier des pharaons (2300 ans avant Jésus-Christ) et la tradition grecque qui attribuait à Sésostris l’honneur de cette tentative. Les textes qui se rapportent à cette question peuvent du reste se résumer en peu de mots.

D’après Hérodote, « le canal aurait été entrepris d’abord par Necos, fils de Psammitichus, et continué par Darius. Sa longueur est de quatre journées de navigation, et sa largeur est suffisante pour que deux trirèmes puissent y passer. L’eau dont il est rempli vient du Nil et y entre un peu au-dessus de Bubastis; il aboutit à la Mer-Erythrée, près de Patumos, ville d’Arabie. Il commence dans la plaine, se dirige d’abord d’occident en orient, passe par les ouvertures de la montagne, et se porte, au midi, dans le golfe d’Arabie. »

Aristote dit que « les pharaons et Darius, qui s’étaient promis de grands avantages de la confection de ce canal, en avaient discontinué le travail, après avoir reconnu que la Mer-Rouge était plus haute que l’Egypte. »

D’après Diodore de Sicile, qui du reste est d’accord avec Hérodote, « Darius n’aurait point achevé le canal; il se serait laissé arrêter par l’avis de quelques ingénieurs qui lui dirent qu’en ouvrant les terres il inonderait l’Egypte, qu’ils avaient trouvée plus basse que la Mer-Rouge; mais il aurait été achevé par Ptolémée II, qui mit à l’extrémité du canal des barrières qu’on ouvrait quand on voulait passer, et qu’on refermait ensuite très promptement. »