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déjà bien assez difficile de maintenir en amont du barrage un chenal d’une profondeur suffisante; les plus puissantes ressources de l’art ne suffiraient pas pour assurer un pareil résultat dans la partie du Nil si inutilement parcourue.

Je passe sous silence les autres projets proposés sur la direction de Suez à Alexandrie, projets qui reposent tous sur les nivellemens de 1799, et qui par conséquent ne sauraient différer beaucoup de ceux de MM. Lepère et Linant, et je viens à ceux qui ont eu pour but d’établir la communication directe entre les deux mers à travers l’isthme et par la voie la plus courte. Ces projets appartiennent à deux systèmes différens : les uns, comme celui indiqué par Amrou et rejeté par le kalife Omar, supposent un grand bief de partage alimenté par les eaux du Nil et versant les eaux dans les deux mers; les autres, suivant le système adopté par M. Lepère et par M. Linant, s’appliquent à un canal alimenté par les eaux de la Mer-Rouge. Lorsqu’on supposait cette mer élevée de plus de 9 mètres au-dessus de la Méditerranée, il était naturel en effet de songer à établir la communication entre les deux mers, en faisant déverser la plus élevée dans la plus basse. La facilité de cette opération et la probabilité de son succès n’avaient pas échappé à M. Lepère, qui l’a indiquée en peu de mots, mais très suffisamment dans son mémoire sur le canal des deux mers[1].

Dans cet aperçu rapide, M. Lepère n’indique pas clairement les dispositions du canal direct; mais il est évident qu’il entend parler d’un canal à écluses alimenté par les eaux de la Mer-Rouge, et disposé de manière à ce qu’au besoin on puisse y établir, à l’aide du grand réservoir des lacs amers, un courant suffisant pour pouvoir

  1. « Dans ce projet du canal de Soueys, nous avons expressément motivé le choix de l’ancienne direction par l’intérieur du Delta, vers Alexandrie, sur les considérations commerciales particulières à l’Egypte, et sur ce que la côte, vers Peluse, ne paraît pas permettre d’établissement maritime permanent. Néanmoins nous croyons devoir reconnaître qu’abstraction faite de ces considérations, il serait encore facile (ce qui parut au contraire difficile et même dangereux avant l’invention des écluses) d’ouvrir une communication directe entre le Lac-Amer et le Ràs-el-Moyeh, prolongée sur le bord oriental du lac Menzaleh jusqu’à la mer vers Peluse. Nous n’avons pas nivelé positivement sur cette direction, de Serapeum au Ràs-el-Moyeh, mais sur une ligne peu distante et parallèle, du Monqfar à la pointe du Menzaleh, où nous avons remarqué que le sol bas et salin, faisant suite à l’Ouady, a dû être couvert par les eaux du Nil, et antérieurement par celles du Lac-Amer, dont il n’est séparé que par mie levée faite de main d’homme : nous croyons même qu’il n’y aurait que quelques parties de digues à construire jusqu’au Ràs-el-Moyeh, le désert s’élevant de toutes parts au-dessus de ce bas-fond; nous pensons qu’un canal ouvert sur cette direction présenterait un avantage que n’aurait pas le canal de l’intérieur. En effet, la navigation, qui pourrait y être constante, ne serait pas assujettie aux alternatives des crues et des décroissemens du Nil; il serait facile d’y entretenir une profondeur plus considérable que celle du premier canal, au moyen d’un courant alimenté par l’immense réservoir des lacs amers, d’où les eaux, par leur chute, pourraient acquérir une vitesse capable de prévenir les dépôts de sable que les vents y apporteraient du désert. On doit bien observer que l’on n’aurait pas à craindre qu’il s’y formât de barre comme il en existe aux bouches de Damiette et de Rosette, parce que les eaux du Lac-Amer, qui alimenteraient les chasses, n’y déposeraient pas de limon, et que l’énergie du courant, qu’on pourra resserrer entre deux jetées, devra entretenir un chenal constamment ouvert et profond. Mais ce canal, en recevant son exécution, serait indépendant de celui de l’intérieur, qui rattache tout le commerce de l’Egypte à un autre centre commun, 9, notamment à la ville du Caire, où aboutissent toutes les relations commerciales de l’Afrique.
    « Ce canal restant toujours navigable, on pourrait plus souvent profiter des vents favorables il la sortie de la Mer-Rouge, ce que ne permettent pas les crues trop tardives du Nil, qui, comme on l’a déjà dit, ne coïncident pas assez avec le temps moyen des moussons : il serait enfin très utile pour l’expédition des ordres et dépêches qui exigent le plus de célérité. J’ajouterai que, si je ne voyais quelques difficultés à recreuser et entretenir à la profondeur convenable le chenal entre Soueys et sa rade, je proposerais d’établir, à l’usage des corvettes et même des frégates, la communication directe des deux mers par l’isthme, ce qui deviendrait le complément de cette grande et importante opération. » — (Description de l’Egypte, t. II.)