Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/524

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serait, à la vérité, facile d’établir, en barrant une partie du lac Menzaleh, par une digue dirigée de l’embouchure du canal sur Tell-el-Sherig, une grande retenue formée du lac Ballah tout entier et de la partie sud du lac Menzaleh, et alimentée par les eaux du Nil. Toutefois, en supposant qu’on maintienne à 6 et même à 8 mètres le niveau de cette retenue, ce qui ne pourrait avoir lieu que dans la saison des crues, que peut-on attendre des chasses, même les plus puissantes, dans un chenal de cette longueur et dans une mer sans marée? Ce procédé dispendieux, qui aurait le double inconvénient d’employer des eaux précieuses et chargées de limon, serait sans aucun effet, et on se trouverait réduit, pour le maintien du chenal et de la passe, à la ressource tout à fait insuffisante des dragages mécaniques.

Le débouché du canal dans la baie de Tineh présente donc une difficulté insurmontable quant au maintien du chenal et de la passe; mais, en supposant même que cette difficulté fût levée, cette solution resterait exposée à d’autres objections tout aussi graves. M. Linant, admettant que les navires pourraient en tout temps en filer la passe et entrer dans le chenal, en a conclu que l’établissement d’un port d’abri n’était pas nécessaire. C’est une erreur grave; un port ou plutôt une rade d’abri est, en pareil cas, la première de toutes les nécessités. Sans cette ressource, les navires arrivant par les coups de vent de la région du nord, fort habituels dans cette mer, ne pouvant sans danger attaquer la passe, seraient infailliblement jetés à la côte, tandis que ceux qui, approchant de l’embouchure du canal, trouveraient un vent contraire seraient forcés de regagner la haute mer. L’appareillage à l’extrémité du chenal serait aussi impossible par un vent contraire. Non-seulement une rade serait nécessaire; mais, attendu les dangers que présente la côte, il la faudrait bien abritée, et comme elle serait exposée à recevoir à la fois un grand nombre de navires de fort échantillon, dont l’évitage exige un emplacement considérable, il la faudrait aussi très étendue. Or deux jetées de 8 kilomètres au moins chacune, un grand brise-lame pour abriter la rade, les phares et feux de signaux, ce sont là des ouvrages hors ligne, soit pour la difficulté d’exécution, soit pour l’élévation des dépenses. Je suis convaincu que, pour établir dans la baie de Tineh une rade sûre et un chenal convenablement disposé, il faudrait dépenser autant que pour l’exécution du canal entier par la voie d’Alexandrie, et cela pour n’obtenir qu’une passe incertaine, ou plutôt certainement impraticable. On voit que la portée de cette discussion est d’exclure entièrement tout projet qui viendrait aboutir à la baie de Tineh[1].

Cette rade, ce port, dont l’établissement sur la côte de Peluse

  1. Tineh, en arabe, signifie boue, vase; cette baie est parfaitement nommée.