Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/546

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais bien de n’avoir pas compris que ses doctrines le condamnaient à une perpétuelle négation et lui prescrivaient le silence. En parlant au nom de la légitimité, il était obligé de récuser la discussion historique; en parlant au nom de l’église catholique, il n’était pas amené par une pente moins impérieuse à récuser la discussion philosophique; l’imagination, qui nous retrace les joies et les souffrances des passions, heurtait cruellement toutes ses affections religieuses. S’abstenir était le seul rôle qui pût lui convenir. S’il eût été entouré d’amis clairvoyans, il n’aurait pas entrepris de juger l’histoire, la philosophie et la poésie de son temps au nom de la foi catholique et de la monarchie traditionnelle.

Ce n’est pas que l’histoire, la philosophie et la poésie soient ennemies de la religion et de la monarchie : la discussion impartiale des faits accomplis ne conduit pas nécessairement à nier les services rendus à la France par la royauté; mais elle ramène ces services à leur juste valeur, et ne prend pas l’engouement pour l’expression de la vérité. La philosophie ne se pose pas en adversaire de la religion, car elle considère l’idée de Dieu comme un des fruits naturels de la réflexion. Bossuet et Fénelon, qui sont demeurés cartésiens jusqu’à la fin de leur vie, avaient pour la philosophie plus d’indulgence et de sympathie que M. Nettement : ils savaient que, loin de saper la foi, elle peut lui venir en aide. Que la raison, livrée à ses seules forces, privée du secours de la révélation, arrive à pénétrer la nature et les attributs de la Divinité, est-ce un danger pour l’église? M. Nettement peut consulter à cet égard les plus savans évêques, et il saura ce qu’il doit en penser. La foi catholique proscrit-elle la poésie? M. Nettement me répondra sans doute par l’affirmative, et je reconnais en effet que la foi catholique, telle qu’il la comprend, lui donne le droit de se montrer pour les poètes aussi sévère que Platon. Je me permettrai pourtant de lui rappeler les noms de Léon X et de Jules II, qui ont encouragé libéralement l’expansion de la fantaisie.

Ainsi M. Nettement se trouve placé dans cette étrange condition : au nom de la monarchie traditionnelle et de la foi catholique, il condamne résolument l’histoire, la philosophie, la poésie. Et cependant les rois qui ont pris au sérieux leurs devoirs n’ont rien à redouter de l’histoire; la morale de l’Évangile n’a rien à redouter de la philosophie; le sentiment religieux trouve dans la poésie un puissant auxiliaire : la Messiade de Klopstock et les Méditations de Lamartine ne sont pas un encens moins pur que les psaumes du roi-prophète; mais toutes les causes comptent parmi leurs défenseurs des esprits clairvoyans et des esprits aveugles, — et par malheur M. Nettement n’est pas au nombre des esprits clairvoyans. Il compromet maladroitement les principes politiques et religieux qu’il croit servir. S’il