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le passé dont je parle n’est pas loin de nous, savent que Gilbert et Chatterton ne sont pas morts victimes de la poésie, mais victimes de l’orgueil. Chatterton, que l’auteur se plaît à représenter comme un martyr de la pensée, a servi et trahi plusieurs causes, et l’éclat de son talent ne justifie pas son apostasie. Ses plus fervens admirateurs, tout en déplorant sa fin cruelle, n’oseraient prendre en main la défense de son caractère. Quant à André Chénier, dont tous les cœurs généreux vénèrent la mémoire, il a succombé, comme tant d’autres, pendant l’orage révolutionnaire, parce que la cause qu’il défendait était la cause vaincue. Ce n’est pas son génie qui l’a envoyé à l’échafaud : la plus haute éloquence ne suffit plus aujourd’hui à soutenir une telle assertion. Cependant je me plais à reconnaître que l’auteur de Stello a su revêtir d’un charme inexprimable sa triple méprise. Il se trompe et il nous trompe en nous parlant de Gilbert, de Chatterton et d’André Chénier, mais il trouve, pour contredire l’histoire, des argumens ingénieux, et l’élégance incomparable de son langage demande grâce pour l’infidélité de ses souvenirs.

Sainte-Beuve, dans son roman de Volupté, a retrouvé toute l’élévation, toute la finesse d’analyse qui nous avait charmés dans les Consolations. On peut blâmer la trame du récit, et même, s’il faut dire toute notre pensée, ce livre, d’ailleurs si digne d’étude, ne satisfait pas aux conditions élémentaires du roman : la narration proprement dite est trop souvent interrompue par des digressions; mais le personnage d’Amaury restera comme le type de l’ambition et de la défaillance, Mme de Couaën comme le modèle de la grandeur. Les pages obscures qui se rencontrent dans ce livre n’attiédiront pas la sympathie qu’il a excitée chez les esprits éclairés. Quoi qu’on puisse penser de ces pages, qui ont souvent un caractère maladif, il faudra toujours se souvenir de Volupté comme d’Obermann, et consulter le roman de Sainte-Beuve en même temps que le roman de Senancourt, pour connaître avec précision les plaies morales de notre temps.

Je ne veux pas essayer de suivre George Sand dans toutes les transformations de son talent. La popularité de ses œuvres me dispense d’une pareille tâche. Il me suffit de rappeler qu’il a porté dans toutes ses tentatives une vivacité, une ardeur d’imagination, que ses adversaires mêmes ne songent pas à contester. Je n’approuve pas, je n’admire pas sans réserve tout ce qu’il a écrit, il y a dans ses livres plus d’une page que je voudrais effacer; mais Valentine et André, Mauprat et la Mare au Diable, suffiraient pour assurer la durée de son nom. Que l’auteur de ces admirables récits ait trop souvent pris le paradoxe pour la vérité, qu’il se soit laissé entraîner à des déclamations que l’éloquence ne justifie pas, je n’essaierai pas