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cidens de ce genre ne viennent jeter le deuil parmi les populations du Jura. Souvent on ne retrouve les corps que plusieurs jours après, et à moitié dévorés par les loups.

Joséphine connaissait toute l’étendue du danger ; trop de ces lugubres histoires s’étaient passées dans le voisinage depuis qu’elle était au monde. Elle n’ignorait pas que, la veille encore, le maître d’école de Valempoulières avait été trouvé mort dans les neiges sur la route de Salins à Champagnole. Simon était à Champ-de-l’Épine depuis le matin : elle savait qu’elle n’avait qu’un mot à dire pour qu’il partît sans hésiter ; mais ce mot, le prononcerait-elle ? Si d’un côté elle se représentait Mélan réconcilié avec son père, la santé du vieillard subitement améliorée, rétablie peut-être par cet heureux événement, d’autre part son imagination lui montrait Simon aux prises avec la tempête et succombant à cette mort affreuse. Le curé lui avait recommandé d’attendre au lendemain, mais serait-il temps encore ? Après être restée quelques instans près de son père, la pauvre fille revint sur la porte pour interroger de nouveau l’état du temps. La poussée était dans toute sa force ; le vent prenait la neige à terre, la rejetait avec fureur contre le ciel, la balayait affreusement, comme il eût fait de la poussière des routes. Le chemin qu’elle avait frayé en revenant du presbytère était déjà complètement effacé. Si telle était la violence de l’ouragan au fond même du vallon, avec combien plus de fureur encore ne devait-il pas sévir en pleine campagne et sur les coteaux qui séparent Champ-de-l’Épine de Bas-du-Bois ! Et la journée qui s’avançait ! et la nuit qui approchait déjà ! — C’en est fait, se dit tristement la jeune villageoise ; il faut y renoncer pour aujourd’hui, pourvu qu’il ne soit pas trop tard demain !

Elle retourna au poêle, mais à peine venait-elle d’y rentrer, que le père Antoine se mit à prononcer d’une voix confuse d’abord, puis plus distinctement le nom de son fils. Joséphine regarda Simon ; le jeune homme avait compris.

— J’irai, lui dit-il tout bas.

— Demain, Simon, répondit la jeune fille, fâchée sans doute d’être si vite obéie ; il sera assez tôt demain. Si vous saviez quel orval il fait !

Mais déjà le jeune homme était hors de la chambre ; Joséphine courut après lui pour essayer de le retenir, elle n’arriva sur la porte de la ferme que pour le voir s’élancer, tête baissée, au milieu de la tourmente. La neige tombait si épaisse, elle tourbillonnait avec tant de violence, qu’à peine avait-il fait dix pas, elle le perdit de vue. — Sainte vierge Marie, dit-elle en tombant à genoux, ayez pitié de moi et sauvez-le !

Jusqu’à Supt, tout alla assez bien pour l’intrépide montagnard. Il