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que j’ai eu raison[1]. Dois-je ajouter ici que les militaires, préoccupés de la guerre d’Orient, se sentent portés plus que de coutume peut-être à étudier l’histoire des sièges célèbres? Aujourd’hui tout le monde en France parle de tranchées, de parallèles et de bastions. On pardonnera donc à un général de cavalerie de s’être fait officier du génie pour un moment.


I.

L’année 1676 avait été glorieuse pour Louis XIV : Condé pris le 25 avril, Bouchain le 10 mai, Aire le 31 juillet, la levée du siège de Maëstricht, défendue par le brave Calvo, enfin la victoire navale de Messine, remportée par le duc de Vivonne et Duquesne sur l’illustre Ruyter, qui y fut blessé mortellement, tels étaient les brillans résultats de la campagne. Comme ombre au tableau apparaissait cependant sur les bords du Rhin la prise de Philippsbourg[2], effectuée après quatre longs mois de siège il est vrai, mais qui n’en était pas moins un échec. Au regret que le roi devait en éprouver se joignait dans son esprit une déception plus vive peut-être : Louis XIV avait manqué l’occasion, la seule qu’il eut jamais dans sa vie, chose singulière, de livrer une bataille, et cela contre l’année hollandaise et espagnole, commandée par le prince d’Orange en personne. Le 30 avril 1676, toute cette armée l’attendait rangée sur le glacis de Valenciennes. Si l’histoire dit vrai, les deux souverains brûlaient d’en venir aux mains. Le duc de Villa-Hermosa détourna Guillaume de cette pensée, et Louis XIV se rendit à l’avis de la majorité de ses maréchaux, qui le suppliaient de ne pas attaquer les lignes ennemies[3] ; mais les journaux hollandais, qui ne laissaient échapper aucune occasion de railler le grand roi, ne perdirent pas celle-là : ils prétendirent méchamment que Louis XIV ne s’était pas fait beaucoup prier pour renoncer à livrer bataille. Parmi les raisons qui tendent à me faire croire néanmoins qu’il en avait un désir réel, — sans citer, bien entendu, ni les correspondances de la cour, ni le Mercure galant de l’époque, — je ferai remarquer que le maréchal de La

  1. A Valenciennes, tel est l’effet produit par cette vigoureuse action de guerre, que les impressions plus récentes du dernier siège y sont presque oubliées. L’étonnement de Louis XIV à la vue de sa maison rouge maîtresse par surprise de la place assiégée, où le grand roi ne s’attendait pas à entrer avant vingt jours, est une de ces anecdotes tout à fait locales qu’on ne manque pas de raconter aux étrangers de passage dans la ville.
  2. Le duc de Lorraine, fier de la prise de Philippsbourg, comptait si fort que l’Alsace lui était ouverte désormais, qu’il avait fait écrire sur ses étendarts : Aut nunc aut nunquam (aujourd’hui ou jamais)!
  3. Guillaume s’était retranché sur la contrescarpe, suivant l’expression alors en usage.