Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/610

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

semaines. Dans cette occasion, le roi dit à Racine et à Despréaux : « Je suis fâché que vous ne soyez pas venus à notre dernière campagne, vous eussiez vu la guerre, et votre voyage n’eût pas été long ! » Racine répondit : « Votre majesté ne nous a pas donné le temps de faire nos habits. »

Habilement secondé par Louvois, le roi sut mettre tant de secret et d’adresse dans les préparatifs de la campagne, que les approvisionnemens étaient faits, les ordres donnés, Valenciennes investie complètement, avant que l’ennemi eût découvert le point qu’il avait à défendre, de telle façon même que le prince d’Orange s’attendait encore, lors de l’investissement de Valenciennes, à voir l’armée française assiéger Mons. M. de Nancré, qui observait cette dernière ville, mandait à Louvois : « Soyez sans préoccupations de ce côté, on n’enverra pas de troupes de Bruxelles pour secourir Valenciennes; ils les réservent pour Mons, où ils disent qu’ils prendront leur revanche. » Le maréchal d’Estrades écrivait aussi de Nimègue au ministre : « Je vois peu d’apparence à la marche de l’armée des états vers Valenciennes; leur cavalerie est toujours dans le pays de Couhe et de Ravenstein, nourrie par les paysans, ce qui fait crier le pays de Gueldre... Mon amy[1] me mande même qu’on va eslargir les quartiers de la cavalerie depuis Indhoven jusqu’à Bar-le-Duc. »

Louvois a joué un grand rôle dans tous les événemens importans de l’époque la plus glorieuse du siècle de Louis XIV; mais sa part d’action a été surtout considérable dans l’épisode historique dont je m’occupe aujourd’hui. Il est donc nécessaire, avant d’entrer dans le récit du siège, de dire quelques mots de l’homme qu’on voit figurer au premier plan dans les divers incidens de ce drame militaire. Les documens exacts sur Louvois sont assez rares. Pour le connaître, on est forcé de recourir aux mémoires et correspondances de la fin du XVIIe siècle, dont les auteurs, il faut le dire, sont en général plutôt les ennemis déclarés que les panégyristes de ce célèbre ministre. Ces témoignages passionnés s’accordent néanmoins sur quelques points essentiels; je m’efforcerai d’en dégager la vérité.

Doué d’une santé vigoureuse et d’une grande activité, François-

  1. Cet amy était, à ce qu’il paraît, un personnage fort utile dont le maréchal d’Estrades, dans sa correspondance, vante fort souvent l’habileté, et dont le roi appréciait assez les services pour les rémunérer. Louvois écrit au maréchal, du camp devant Valenciennes, le 4 mars : « J’ai reçu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire le 9 de ce mois... Je vous ay déjà mandé que le roy étoit fort content de votre amy, et que pour l’exhorter à continuer i vous écrire, sa majesté vouloit bien lui donner 200 écus par mois. Je vous supplie de l’exhorter à vous écrire le plus souvent qu’il pourra, et à vous informer de ce à quoy M. le prince d’Orange résoudra d’occuper son armée, et si l’on pense toujours au siège de Maëstricht, etc. » (Manuscrits de la guerre.)