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lieutenant -général commandant l’artillerie, ne traçaient pas une ligne, n’armaient pas une batterie sans que Louvois eût été consulté. Ces occupations ne le dispensaient pas d’écrire sans cesse au maréchal d’Estrades à Nimègue, à M. Courtin[1] à Londres, et de recevoir de fréquentes dépêches de ces diplomates, tout cela indépendamment de ses courriers d’Espagne, de Sicile, d’Allemagne, etc., et enfin de sa correspondance particulière avec une foule de personnages différens.

Pour se rendre bien compte des occupations de cet homme laborieux, il faut lire dans la collection des manuscrits du ministère de la guerre les minutes, presque toutes écrites de sa main, relatives à tant d’objets différens. Louvois remplit souvent des fonctions militaires, telles que celles d’inspecteur général de l’artillerie par exemple, mais sans avoir jamais eu de position proprement dite dans l’armée. C’est Louvois qui introduisit l’usage de l’uniforme dans les troupes françaises, l’ordonnance qui l’établit est de 1670 ; les premiers uniformes des régimens d’infanterie étaient gris clair. Il donna à Louis XIV l’idée de l’hôtel des Invalides. Vauban lui avait enseigné l’art de la fortification[2]. C’est par ce ministre que furent instituées les inspections générales de l’infanterie et de la cavalerie. Le premier il réunit un grand nombre de troupes sous les yeux du roi, dans des camps de plaisance où accouraient les officiers étrangers. Louvois créa aussi l’ordre du tableau, qui sans doute mettait un frein aux faveurs de cour, mais qui, en conférant des droits à l’ancienneté, retardait parfois la carrière des jeunes gens d’avenir. « Sous Turenne et Condé, écrivaient les auteurs de l’époque, il n’y avait pas d’ordre du tableau, et nos officiers n’en étaient pas plus mauvais pour cela. » N’en déplaise à Voltaire, je croirais difficilement qu’un sentiment de justice ait porté Louvois à constituer par cette ordonnance un droit à l’ancienneté des services ; il n’avait qu’un but, c’était d’enlever encore quelques prestiges et quelques prérogatives à la noblesse de cour. Quant à voir dans Louvois un ministre à idées égalitaires ou démocratiques, suivant le sens que nous attachons

  1. Antoine Courtin, ambassadeur en Suède, puis nommé par le roi son résident général vers les princes et états du Nord. À cette époque, l’Angleterre n’était point en guerre avec la France. Cette puissance joua le rôle de médiatrice au congrès de Nimègue ; elle y était représentée par M. Temple, un des ancêtres de lord Palmerston.
  2. Louvois eut toujours une prédilection particulière pour l’art de l’attaque et de la défense des places ; il sut la communiquer à son royal maître. Louis XIV écrivait le 1er  août 1676 a Louvois, qui était devant Aire, assiégée par le maréchal d’Humières : « Les grands sièges me plaisent encore plus que les autres. » Il voulait que le roi conservât les villes fortes dont il s’emparait. Turenne et Condé, craignant d’affaiblir l’armée en la répartissant dans des garnisons nombreuses, combattaient l’opinion du ministre, que Louis XIV adoptait presque toujours en définitive.