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voyages d’Europe ont aussi leurs ennuis, leurs fatigues même, et que les joies aventureuses d’une course comme celle dont je veux rappeler les incidens ne viennent pas toujours les racheter. Je ne prolongerai point outre mesure cet essai de réhabilitation de la vie un peu laborieuse que tout voyageur doit s’imposer en Orient; je me bornerai à dire : Ne visitez pas la Syrie au mois de juillet, ni l’Asie-Mineure en hiver; vous auriez à redouter l’apoplexie ou la congélation. Choisissez une époque favorable, prenez un bon cheval dont vous réglerez le pas à votre fantaisie, lancez-vous à travers les montagnes ou sur les grèves que baigne la Méditerranée, puis dites-moi si une course de huit heures par jour faite dans de telles conditions ne vaut pas mille fois les longues journées du touriste promené par une berline comfortable sur les meilleures routes de l’Europe. Outre la fatigue, le danger, je le sais, doit aussi tenir sa place dans les prévisions de quiconque visite l’Orient; mais le meilleur moyen d’y faire face n’est-il pas de s’affranchir des terreurs puériles entretenues par de vieux préjugés, et dont quelques femmes tirent volontiers vanité? Qu’on place tant qu’on voudra une sorte de lâcheté prétentieuse et fardée au nombre des grâces féminines : pour ma part, j’aurai toujours peine à la comprendre, et je ne saurai jamais l’excuser. Sincère ou non, la pusillanimité est un des plus redoutables ennemis du voyageur, et en Orient surtout, quiconque ne sait pas vaincre ce triste sentiment doit se condamner à la vie sédentaire.

J’en viens maintenant à la ville d’Alexandrette et aux incidens qui ont marqué mon pèlerinage vers Beyrouth. N’en déplaise aux géographes, je nie qu’Alexandrette soit une ville. J’admettrai, si l’on veut, qu’elle l’ait été il y a plusieurs siècles, bien qu’aucunes ruines ne l’attestent; mais je m’en tiens là, et je ne verrai jamais dans Alexandrette qu’un lieu d’où l’on part. Le site est beau, le littoral est magnifique. Le vaste amphithéâtre de montagnes qui rattachent le Djaour-Daghda au Liban est admirable. Rien n’est riant comme la plaine verdoyante bornée de trois côtés par ces montagnes, d’un autre par la mer, et sur laquelle Alexandrette est assise. Quant à la ville, que dire des quelques maisons qui la représentent, maisons délabrées, quoique neuves, construites sans ordre ni plan, et laissant entre elles, au lieu de rues, d’étroits espaces contournés en tous sens? — Les seuls points à noter à propos d’Alexandrette, c’est que la température y est excessive en été comme en hiver, que les chaleurs y sont intolérables et que le froid y est fort rigoureux, que des fièvres périodiques y sont provoquées par les infiltrations de la mer, que le bazar est des plus pauvres, et que la plupart des marchandises envoyées d’Alep disparaissent presqu’immédiatement dans les