Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/663

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Guise qui fut assassiné à Blois, comme quelques auteurs l’ont prétendu trop légèrement, et la preuve, c’est que Henri III, regardant de loin le cadavre étendu sur le plancher, a dit : « Je ne le croyais pas si grand. »

Autre preuve : en 1815, les officieux ne manquèrent pas pour indiquer le lieu où gisait le fils de Louis XVI. Trois endroits furent désignés, chacun ayant son témoin authentique récusant les deux autres. Le roi Louis XVIII, tourmenté par les libéraux du temps, qui trouvaient matière à plaisanterie dans la recherche des ossemens des victimes sacrifiées par les terroristes, se trouvant d’ailleurs dans l’impossibilité de démêler la vérité entre trois assertions contradictoires, crut que dans le doute il fallait s’abstenir, et défendit de continuer les recherches. M. Hauson a deviné pourquoi il ne les avait pas permises. C’est tout bonnement que ce prince ambitieux et sans principes savait mieux que personne que le dauphin n’était pas mort. En effet, c’est lui qui l’avait fait enlever du Temple, afin de régner à sa place. Il aurait bien pu le laisser mourir de consomption entre les mains de ses bourreaux, il aurait bien pu faire porter à Saint-Denis des ossemens supposés, mais il a eu des scrupules. Que voulez-vous ? On ne rencontre jamais des princes complets, comme ceux pour qui Machiavel a fait un cours d’éducation. On aura peut-être la curiosité d’apprendre comment le dauphin, parvenu au dernier période du marasme, fut enlevé de sa prison. A la vérité M. Hanson ne l’explique pas, mais quoi de plus facile à exécuter ? Il suffisait de gagner les gardiens, de corrompre les commissaires de la convention, de séduire les gendarmes et les gardes nationaux, de se procurer un enfant du même âge, malade de la même maladie, de lui recommander de ne rien dire de compromettant, de l’apporter secrètement au Temple, d’eu emporter le véritable dauphin, d’empoisonner le médecin qui le soignait pour qu’il ne s’aperçût pas de la substitution, etc. Autrefois les jurisconsultes disaient : Agenti incumbit probatio rei, mais nous avons changé tout cela.

Maintenant, si mon lecteur veut bien se transporter en Amérique et considérer les genoux et les poignets du révérend Eleazar Williams, il y verra des cicatrices, et, comme on sait, le dauphin avait des tumeurs aux genoux et aux poignets. Bien plus, le révérend Eleazar Williams a au bras une marque d’inoculation, fait très rare, et ce qui est encore plus extraordinaire, c’est qu’il ne se souvient pas d’avoir été inoculé. Ce n’est pas tout encore. Nous allons entendre parler Louis XVII lui-même… Mais il faut que je raconte d’abord ce que l’on sait de la vie apparente en Amérique du prince miraculeusement sauvé.

On a cru longtemps qu’il était né aux États-Unis, et qu’il était le fils d’un nommé Thomas Williams et d’une Indienne appelée Mary Ann Konwatewentela. Thomas Williams lui-même était fils d’une Anglo-Américaine et d’un Indien. Par son éducation et le genre d’existence qu’il avait toujours suivie, il était tout à fait Indien lui-même ; il avait oublié l’anglais ou ne l’avait jamais su, vivait, chassait et se battait avec les Iroquois, bon mari d’ailleurs et père de huit ou de neuf enfans, le nombre est incertain. Huit ont été enregistrés à leur naissance sur le livre de l’église de Caughnawaga, sa paroisse, où vous pourrez lire leurs noms. N’y cherchez pas le nom d’Eleazar ou Lazau, comme