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disent les Iroquois. Ce nom n’est point enregistré, donc Eleazar n’est pas le fils de Thomas Williams, car il n’est pas probable qu’on eût oublié de garder note de sa naissance, considérant la régularité avec laquelle les registres de l’état civil sont tenus parmi les Iroquois. On ne peut pas admettre non plus qu’il soit né ailleurs qu’à Caughnawaga, dans l’hypothèse où il serait le fils de Williams, car le brave homme n’eût pas manqué d’en avertir son pasteur, à son retour dans ses foyers. Le témoignage de Mme Williams, née Konawatewenteta, serait décisif, mais il n’est pas trop facile de savoir ce qu’elle en pense. M. Hanson nous communique quelques déclarations de cette dame, dont une en langue iroquoise, pour plus grande clarté. De l’une il résulte qu’elle est bien la mère d’Eleazar Williams, de l’autre il conste qu’elle n’est pas sa mère et qu’elle l’a adopté. On a négligé, en recueillant cette dernière déposition, de lui demander quelles gens le lui avaient remis, ou bien en quel lieu elle l’avait trouvé. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle a fait sa croix au bas des deux affidavits, et l’on peut se demander si Mme Williams, en traçant ce signe vénéré, a bien su ce qu’elle faisait. Je n’ai jamais pratiqué les Iroquois, mais j’ai voyagé dans des pays si barbares, que, moyennant un petit verre d’eau-de-vie, on aurait pu faire apposer des croix à toutes les reconnaissances de paternité qu’on aurait voulu.

Le révérend Eleazar Williams, qui ne se souvient pas d’avoir été inoculé, ne peut pas, bien entendu, nous fournir des renseignemens exacts sur le lieu de sa naissance. Il convient qu’il n’a conservé aucun souvenir de ses premières années. Les gens qui l’avaient vu dans la famille Williams ont rapporté qu’il était d’abord à peu près idiot. Un jour, il tomba la tête la première dans le lac George, sur une pierre qui lui fendit la tête. Cela lui donna de l’esprit. Depuis le coup de hache qui lit sortir Minerve du cerveau de Jupiter, on est d’accord sur l’efficacité du remède. Cependant la mémoire ne revint pas bien nette au jeune Eleazar. Il a, dit-il, de vagues réminiscences de s’être assis sur la queue d’une belle dame, dans une grande maison, circonstance bien frappante, car les Iroquoises, loin de porter des queues, ont au contraire des jupes très courtes. Il se rappelle encore une horrible figure qui l’effrayait. Vous comprenez tout de suite que cette horrible figure était celle du cordonnier Simon. A New-York, on lui montra un jour le portrait de ce misérable, et aussitôt il reconnut la figure qui l’épouvantait. Quel fut le peintre du citoyen Simon?... Le portrait qu’on possède à New-York est-il ressemblant? Nul doute à cet égard. Il y a plus d’une gravure et plus d’une lithographie qui représente le bourreau du dauphin, et, bien que ces portraits ne paraissent point faits d’après le même original, on remarquera qu’ils ressemblent tous à un vilain coquin.

Grâce au rocher qui lui ouvrit si heureusement le crâne et l’intelligence, le jeune Eleazar put se livrer à l’étude. Il apprit l’anglais, qu’il ne sait pas encore très bien et qu’il parle avec un accent prononcé, au dire de son biographe. Il eut pour maître d’école un homme très pieux qui avait une manie singulière, celle de tenir un journal. [Voyez comme le nouveau monde ressemble à l’ancien !l Les événemens étaient rares aux environs du lac George, lieu de sa résidence; mais il inscrivait cependant sur ses tablettes