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plantes grasses, variées à l’infini, aux feuilles aiguës, plates, rondes, triangulaires, allongées ou recourbées en cornes de bélier, originaires de la côte d’Afrique et du Brésil, y prospéraient en pleine terre, et donnaient à l’envi ces fleurs éclatantes et délicates qu’on est toujours surpris de voir s’épanouir sur des tiges aussi bizarres. Derrière les carrés et les plates-bandes établis près de la maison pour réjouir les regards s’étendait le pomar (verger), rempli de beaux orangers disposés en quinconces. Une roue d’irrigation versait une eau abondante à leurs pieds, et si le promeneur regrettait l’absence de la pelouse verte du jardin anglais, bordée de chênes, de hêtres ou d’ormeaux, au moins trouvait-il, sous le feuillage odorant des orangers, la douce fraîcheur, le frigus opacum du poète.

Le portail, la cour et les appartemens de l’hôtel étaient brillamment illuminés le soir même où l’aveugle Joaquim se proposait d’aller faire sa visite à la marquise. Il y avait réunion au palais, dans le salon d’honneur. À l’exception de quelques douairières fidèles à la simplicité du costume national, les invités de l’un et l’autre sexe étaient vêtus conformément au dernier bulletin des modes publié à Paris et à Londres. La conversation se faisait beaucoup en français, quelquefois en anglais ; les grand’mères seules parlaient entre elles la langue du pays. Cette société polie et élégante avait puisé dans les principales contrées de l’Europe ses goûts et ses inspirations. Il ne restait de portugais que l’ameublement un peu suranné du salon. Les draperies et les riches étoiles semblaient y avoir été trop épargnées. Cependant les carreaux de faïence (azulejos) incrustés dans la partie inférieure des murs et représentant de petits sujets champêtres ne déplaisaient point au regard. Ils servaient de base à des peintures assez élégantes formant autour de l’appartement toute une série de panneaux surmontés de caissons. Un comprenait que la maîtresse de ce palais n’avait point consenti a sacrifier aux exigences et au goût capricieux et étranger ces murs anciens et d’un assez bel effet.

Les invités étaient déjà réunis au salon et causaient par petits groupes, lorsque la mère de Joãozinho fit son entrée, dans toute la pompe d’une riche toilette, tenant son enfant par la main : — Dona Flora, lui dit tout bas la marquise, pouvez-vous bien vous faire attendre ainsi ! n’ai-je pas donné cette réunion pour fêter votre retour ?

À ce reproche qui lui était adressé d’un ton amical et affectueux, dona Flora répondit en serrant la main de la marquise avec empressement. Joãozinho s’échappa bien vite d’auprès de sa mère ; il courut recevoir les caresses des dames, qui se disputaient le plaisir de l’asseoir sur leurs genoux pour le faire jaser. En s’occupant ainsi de l’enfant, celles-ci évitaient d’entrer en conversation avec dona Flora,