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à la forme des terrains, à leur nature, à leur stratification, aux débris organiques qu’ils contiennent tant pour les productions de la mer que pour celles de la terre. Le nombre des alternances et des retours de la mer est un élément important de la question, ainsi que la nature du sol que roulaient à chaque époque les générations vivantes qui pullulaient dans certaines localités. Enfin l’atmosphère d’alors, sa composition, son action sur le climat, sur la vie, sur les élémens de la terre, avec sa chaleur présumée, tout est mis en ligne de compte. C’est avec ces données, empruntées à l’observation aidée des lois physiques de la nature, que le géologue ressuscite pour ainsi dire le monde à chacune des époques du passé, à peu près comme les géographes, aidés de l’histoire, nous donnent des cartes de l’empire grec, de l’empire romain ou de l’empire de Charlemagne.

Mais ces fruits de l’arbre de la science, d’un accès si difficile, n’ont pas encore satisfait la soif de savoir qui semble l’élément fondamental de l’âme humaine, toujours prête, comme nos premiers païens, à préférer la science à tout, même au bonheur. L’état du globe terrestre antérieur à notre époque devait lui-même résulter d’un état précédent, qui en était la cause, et dont il n’était que l’effet. De proche en proche, on arrivait à la formation de la terre elle-même et des astres ; c’était ce qu’on appelait et qu’on appelle encore la cosmogonie, ou la théorie de la formation de l’univers. Quand on pense combien les anciens avaient fait peu de progrès dans les sciences d’observation, et avec quel succès au contraire ils avaient cultivé les arts d’imagination, on conçoit facilement combien de cosmogonies durent être admises, même en faisant abstraction de toutes les cosmogonies théologiques. La hardiesse des faiseurs de mondes imaginaires a persisté presque jusqu’à nos jours, et Descartes lui-même, le père du doute et de la réserve, on ne peut plus infidèle à ses principes, avait fait le monde avec le plein et la matière subtile mue en tourbillons. Cicéron disait qu’il ne concevait pas que deux aruspices pussent se regarder sans rire ; et moi je dis que je ne conçois pas comment Descartes, ce grave métaphysicien, pouvait sérieusement se regarder dans une glace !

Avant d’aller plus loin, précisons bien exactement, et en remontant vers le passé, les trois époques ou périodes de la nature entre lesquelles nous venons de voir se partager la curiosité de l’esprit humain. Il y a d’abord la période actuelle, c’est-à-dire l’ordre de choses dans lequel nous vivons depuis la dernière catastrophe du globe, qui date seulement de quelques dizaines de siècles. C’est l’époque historique, qui n’est caractérisée que par de petits changemens très lents dans la forme et l’aspect actuel des continens et des mers, changemens qui semblent la continuation affaiblie de l’effet des