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menaçantes. L’étude de l’antiquité devait-elle, oui ou non, être supprimée ? La révocation de l’édit de Nantes avait-elle été une mesure politique légitime ? L’esprit du XVIIIe siècle se réveilla et reprit peu à peu faveur. En sept années seulement se sont accomplis ces reviremens de l’opinion publique. La situation est aujourd’hui celle-ci : l’ultramontanisme ne veut rien perdre du terrain qu’il a conquis ; le XVIIIe siècle veut reconquérir le terrain qu’il a perdu. Nous ne savons quel sera le dénoûment de la crise, nous nous bornons, en historiens impartiaux et désintéressés, à constater fidèlement l’état de choses actuel.

D’innombrables écrits, — pamphlets, philippiques de toute espèce, — sont déjà nés de ce débat, que sont venus ranimer en dernier lieu deux livres de valeur fort inégale, — Ménage et finances de Voltaire, de M. Nicolardot, et l’Église et les Philosophes au dix-huitième siècle, de M. Laufrey. L’un brûle tout ce que l’autre adore. Le premier maudit tout ce que le second bénit. M. Nicolardot fait passer le XVIIIe siècle tout entier devant la cour d’assises et démontre que tous les personnages de cette époque ont été voleurs, assassins, faussaires, faux monnayeurs, libertins. Il a renouvelé à l’égard du XVIIIe siècle le procédé de Voltaire envers ses ennemis. Toutes les fois que le célèbre écrivain avait à se plaindre de quelqu’un, il accusait invariablement ce quelqu’un de crimes honteux et contre nature. Les diatribes de M. Nicolardot, à demi fondées, à demi calomnieuses, reposent sur cette vérité incontestable, que la société du XVIIIe siècle était très corrompue. De son côté, M. Lanfrey démontre que le clergé du XVIIIe siècle présenta le plus odieux spectacle, celui de l’intolérance unie à la corruption. M. Lanfrey déclare qu’il n’a pas voulu exposer les défauts du XVIIIe siècle, parce qu’assez d’autres sans lui se chargeront du crime de Cham et profaneront la nudité paternelle. Très bien ; mais la société laïque valait-elle beaucoup mieux que la société ecclésiastique ? Non ; dans ce siècle, immoral entre tous les siècles, les salons et les cours sont au niveau des sacristies. Les philosophes et les écrivains, quelque mal qu’on puisse en dire, composent en effet la partie la plus éclairée, la plus élevée, la plus morale de l’humanité de cette époque, et Voltaire est certainement, malgré ses fautes et ses étourderies, le plus honnête homme de son temps. Cependant ils ne sont pas pour cela des modèles de vertu, de grandeur et de noblesse dignes d’être offerts à la vénération de l’humanité. Ils peuvent être jugés d’un mot, ils appellent souvent la sympathie, rarement le respect. Ils ont plus d’esprit que d’âme, et chez eux l’intelligence domine au détriment du caractère. Comparez les écrivains du XVIIIe siècle à leurs prédécesseurs du XVIIe, à Pascal, à Bossuet, à Fénelon, à Bayle lui-même, et dites si l’on ne pourrait pas répéter à leur sujet la parole de Jésus lorsque la Cananéenne a touché ses