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nations appartenant aux trois formes diverses du christianisme, chez les nations catholiques, chez les nations protestantes, chez les nations du rite grec. Ce fait si général n’eut point cependant partout les mêmes conséquences ; il devait en avoir et il en eut de funestes chez les nations catholiques.

J’ai toujours pensé que le XVIIIe siècle n’aurait pas eu la même violence, si la réforme eût été universellement acceptée au XVIe siècle. Des maux innombrables résultèrent de la séparation de l’Europe en deux camps ennemis ; mais il en est deux surtout dont nous souffrons encore : le premier, c’est que les sources de la vie morale ne furent pas ou furent incomplètement renouvelées ; l’autre, c’est que le pouvoir monarchique gagna en influence tout ce que perdit le pouvoir sacerdotal sans grand profit pour la liberté humaine. C’était au pouvoir monarchique seul en effet qu’il appartenait de mettre un peu d’ordre au milieu de la confusion où les troubles de l’église avaient jeté l’Europe ; seul il pouvait maintenir en paix une province protestante qui, voisine d’une province catholique, brûlait de mettre cette dernière à feu et à sang ; seul il était capable de protéger avec quelque efficacité les familles et les propriétés de citoyens toujours prêts à s’exterminer et à se dépouiller mutuellement. Aussi partout fut-il salué comme un libérateur. Il créa des armées permanentes, les peuples applaudirent ; il confisqua les vieilles libertés nationales, on laissa faire ; il décima les aristocraties turbulentes et factieuses, elles regimbèrent un instant, puis, avec cette servilité que l’impuissance donne très vite à l’homme, elles consentirent à se transformer en noblesses de cour et en aristocraties de plaisir. Comme on était encore très près du moyen âge, les princes catholiques, instrumens du clergé romain, et qui se proclamaient tels eux-mêmes, conservèrent à l’autorité sacerdotale son prestige, son influence politique, ses richesses dans l’état ; mais avant qu’un siècle se fût passé, ils commencèrent à se sentir gênés de ce partage du pouvoir : à chaque instant, ils étaient harcelés, importunés, contrariés par cette autorité qu’ils avaient sauvée, qui n’existait que par eux, qui ne possédait aucune armée, qui, en un mot, n’était plus qu’un serviteur, et prétendait parfois à être le maître. Alors s’engagea une lutte odieuse, repoussante, entre la force et la ruse. Certes, dans la plupart des querelles qui s’élevèrent au XVIIe et au XVIIIe siècle, le faible, c’est le clergé, et l’oppresseur, c’est le pouvoir politique. Le clergé est désarmé relativement à la royauté ; eh bien ! il est néanmoins impossible de prendre la plupart du temps parti pour lui. On n’a pas d’armées permanentes, il est vrai, mais on ruse, on intrigue, on cabale, on importune jusqu’à ce qu’enfin le pouvoir politique exaspéré appelle brutalement quatre hommes et un caporal, et termine ces conflits incessans en posant les scellés sur l’église.