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dogme et de la morale chrétienne ; mais s’il s’obstine à conserver un pouvoir politique, le clergé s’exposera à commettre des injustices révoltantes, car il se heurtera contre des intérêts nouveaux qui lui sont étrangers, et dont il ne peut avoir qu’une connaissance imparfaite. Je ne veux point dire par là que les principes du clergé ne fussent pas préférables aux principes du despotisme : l’important en politique n’est pas d’avoir les meilleurs principes ; l’important, c’est bien plutôt d’avoir les moyens de mieux faire la besogne du jour, de pouvoir mieux gouverner que tel autre à un moment donné. L’église s’obstina cependant et eut le double malheur de blesser à la fois les peuples et les rois, les rois par ses taquineries et ses exigences, les peuples par ses persécutions.

Si cette sécularisation universelle fut nécessaire, fut-il également nécessaire qu’elle s’accomplît au moyen du despotisme ? Hélas ! il n’y avait pas d’autre moyen de l’accomplir. Cette sécularisation était exigée par l’état même du monde, par l’état des esprits, par les intérêts nouveaux qui se faisaient jour de tous côtés et les classes nouvelles qui s’élevaient de toutes parts. Il fallait que le pouvoir politique dominât, et il n’y avait plus en Europe qu’un pouvoir politique debout (l’Angleterre exceptée), la monarchie, que les luttes du XVIe siècle avaient démesurément grandie. Cette sécularisation dut donc se faire sous forme despotique. C’est ici que nous pouvons exprimer de nouveau l’opinion que nous avons émise, que le demi-succès de la réforme a eu des conséquences désastreuses. Si la réforme eût été universellement acceptée, cette sécularisation se serait accomplie également, puisqu’elle était inévitable, mais sous forme libérale et républicaine. La féodalité n’aurait pas été aussi rapidement détruite, il est vrai, mais en revanche la tradition n’aurait pas été brisée, car c’est un fait éminemment révolutionnaire, que cette usurpation de tous les pouvoirs par la monarchie, qui s’est accomplie dans les trois derniers siècles. Les aristocraties féodales auraient conservé leur influence, et, grâce à elles, le moyen âge se serait continué en se transformant, les classes moyennes auraient grandi en importance, et auraient fait lentement et sagement leur éducation politique, éducation qui leur a toujours fait défaut. Un abîme ne se serait pas creusé entre les diverses classes de la société, et nous n’aurions jamais connu les castes et le régime des castes. La foi chrétienne, en pénétrant dans les classes inférieures, les eût moralisées et en eut fait un peuple solide, à la fois modeste dans ses prétentions et intraitable sur ses droits. Nous aurions eu en un mot un peuple, et non plus ce que nous avons encore, surtout dans les pays latins, une populace insolente, tour à tour violente et lâche. Cette sécularisation eut été, je le sais, essentiellement oligarchique ; mais l’oligarchie est et sera toujours préférable au despotisme. Les œuvres de