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emportement, son étourderie et son irréflexion. Une telle révolution ne pouvait s’accomplir que chez un peuple qui n’avait point passé par la réforme, et elle ne pouvait s’accomplir autrement. S’il se rencontre un pays où la loi religieuse n’existe qu’à la condition de l’obéissance absolue au prêtre, et si le prêtre y disparaît ou y devient, par telle ou telle raison, odieux ou impopulaire, qu’arrivera-t-il ? Ce qui est malheureusement arrivé. Tel qu’il a été, le XVIIIe siècle était inévitable du jour où le XVIe siècle échoua.

Nous ne voudrions pas qu’on se méprît sur notre pensée. Nous ne discutons pas, nous exposons ; nous essayons de dire quels furent les caractères du XVIIIe siècle, et pourquoi il fut ce qu’il a été. Selon nous, il était inévitable sous sa forme athée du jour où la réforme avait échoué. Lorsque les temps lurent venus où la vieille société dut périr et où la réforme sociale fut nécessaire, l’athéisme se présenta donc comme la seule arme de combat. Ce fait particulier a eu deux conséquences : grâce à cette arme terrible, la révolution française a pu opérer la destruction la plus radicale dont l’histoire fasse mention, et en même temps elle a été privée d’un élément de rénovation morale. Le XVIIIe siècle, n’ayant pas de croyances, les remplaça comme il put, par des principes légaux et des opinions. Et ici s’élève une question à laquelle M. Lanfrey n’a pas songé. Des principes abstraits, adoptés par l’intelligence, peuvent-ils remplacer des croyances vivantes, qui se mêlent à tous les actes de l’existence et sont le principe même de la vie de l’âme ? En d’autres termes, est-il vrai que les croyances religieuses sont absolument nécessaires à l’homme, comme la lumière l’est à la nature ? La question vaut bien la peine d’être examinée. Il y a là dans cette question un des mystères insondables de l’ordre universel : le mystère n’a pu être pénétré et l’analyse philosophique n’a pu l’atteindre, pas plus qu’elle ne peut atteindre l’élément constitutif de la vie ; mais il existe. Si philosophe que soit un peuple, il y a toujours un moment où la morale purement humaine ne lui suffit pas ; les faits parlent assez haut d’eux-mêmes. Il s’ensuit que faute de cet élément religieux, la révolution est condamnée pour toujours peut-être à n’avoir qu’un développement très restreint. Dès que l’homme sent s’agiter en lui ce tourment de la croyance religieuse, la révolution se voit abandonnée, et le XVIIIe siècle recule. Aussi le catholicisme, contre lequel cette révolution fut dirigée en grande partie, conserve-t-il encore son ancien empire, et se dresse-t-il en face du XVIIIe siècle comme un adversaire obstiné et patient. Les péripéties de cette lutte, de ces actions et réactions successives ont été nombreuses, et il serait impossible de dire quelle en sera l’issue. La France, et à sa suite les nations du midi, semblent condamnées à flotter longtemps de l’un à l’autre sans parvenir à se fixer et à se décider entre les deux. Et