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extérieure. La voie nouvelle qu’il parcourut avait été frayée déjà par quelques précurseurs dont il ne faut pas vanter bien haut l’audace, mais auxquels on ne saurait refuser une sorte de courage, ou, en tout cas, de bonne volonté. On sait la résistance de Vien aux routines académiques et les velléités archéologiques rapportées d’Italie par les peintres qui avaient approché Mengs, Hamilton ou Winckelmann. Avant d’avoir obtenu le prix, David devait déjà subir, bien que de seconde main, l’influence des savans et des antiquaires établis à Rome. Une fois en contact direct avec eux, il acheva de se convertir à leur foi, et travailla résolument à la propager par ses œuvres. Enfin, comme le dit M. Delécluze avec autant d’impartialité que de justesse, « l’artiste a obéi à un grand mouvement intellectuel, mais il ne l’a pas imprimé. »

Rien de plus facile, au surplus, que d’apprécier d’un coup d’œil le milieu où se produisit David et de mesurer la distance qui le sépare à ses débuts des peintres contemporains[1]. Deux estampes gravées par Martini, et qui reproduisent l’une l’exposition des tableaux au salon de 1785, l’autre l’exposition de 1787, nous montrent les Horaces et la Mort de Socrate entourés ou en regard de bon nombre d’Hectors et de Coriolans, preuve évidente d’un goût assez général déjà pour les sujets antiques et de cette réaction contre la fantaisie que David, il faut le répéter, encouragea plus énergiquement que personne, mais dont il ne fut pas le premier à donner le signal. N’importe, le coup décisif était porté. À partir du moment où parurent les Horaces, il n’y eut plus ni parmi les jeunes peintres, ni dans le public personne qui hésitât à abandonner la cause d’une école surannée pour se jeter dans le parti de la réforme et du progrès. À la cour même, David ne rencontra que des protecteurs empressés, des complices pour ainsi dire, et la révolution qui allait éclater dans d’autres sphères se confondant déjà avec la révolution de l’art, le peintre des Horaces reçut au nom du roi l’ordre de peindre Brutus rentrant dans ses foyers après avoir condamné ses fils. Le choix d’un pareil sujet à cette date (1789) était à la fois un hommage au talent personnel de l’artiste et une concession politique : concession bien vaine, on le sait de reste, et qui, comme tant d’autres sacrifices à l’opinion, ne pouvait plus être déjà qu’un aveu officiel de faiblesse. Le comte d’Artois du moins n’eut pas à se reprocher de

  1. Il faut entendre par ce mot « débuts » les premières œuvres du peintre admises aux expositions du Louvre. On se rappelle que les académiciens seuls avaient le droit d’exposer leurs tableaux au salon, et David ne fut reçu membre de l’Académie royale de peinture qu’en 1783. Avant cette époque toutefois, il avait peint le Bélisaire, Andromaque pleurant la mort d’Hector, qu’il présenta comme morceau de réception, et, dès 1779, son Saint Roch, aujourd’hui à Marseille.