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s’être compromis dans des avances à ce point significatives. Lui aussi il avait commandé un tableau à David, et cela à la veille de la prise de la Bastille ; mais le sujet de ce tableau était tout uniment les Amours de Paris et d’Hélène.

David n’eût-il laissé que les quatre ouvrages qui résument sa première manière, et dont le plus récent, Brutus, était achevé avant la chute de Louis XVI, il occuperait encore dans l’histoire de l’art français une place considérable. On ne saurait oublier l’immense influence qu’un retour si formel aux traditions de l’art antique exerça sur le goût, sur les modes, sur l’extérieur des mœurs, sinon sur les mœurs mêmes ; en outre de pareils travaux ont assez de forces vives et de consistance pour survivre sans amoindrissement fort sensible aux circonstances qui les ont vus naître. Qu’ils aient emprunté aux émotions du moment un surcroît d’importance, c’est ce qui ne peut être mis en doute ; mais, en dehors de ce mérite d’à-propos, il leur reste une valeur sérieuse. Est-il besoin, par exemple, de se reporter au temps où David peignait la Mort de Socrate, pour comprendre la beauté sévère et la noblesse de la composition ? Nous employons ce mot à dessein. L’exécution du tableau est pesante, froide, mesquine, et, sous le rapport du faire, David se montre ici très inférieur à ce qu’il devait être plus tard ; en revanche, il ne produisit dans tout le cours de sa vie rien d’aussi fortement pensé, d’aussi grand par l’ordonnance, rien d’aussi bien composé pour tout dire. Que l’on ne se méprenne pas cependant sur le sens et la portée de ces éloges. Même dans la Mort de Socrate, il ne faut admirer, à notre avis, que les témoignages d’une intelligence vigoureuse. Là plus qu’ailleurs l’inspiration se fait sentir, mais là encore cette inspiration semble venir tout entière de la tête. L’élan du cœur, l’accent ému, la puissance expansive, voilà ce qui fait défaut à une œuvre si robuste d’ailleurs et si grave. Veut-on apprécier par un exemple contraire l’insuffisance pathétique du Socrate, il suffira d’opposer à ce tableau le Testament d’Eudamidas, de Poussin.

Les spécimens principaux de la première manière de David, et en général tous les tableaux qu’il a signés, paraissent donc plus propres à imposer une estime réfléchie qu’à éveiller instantanément la sympathie. Ce qui manque dès les premières années au maître, — il a droit à ce titre par l’autorité de ses efforts, — ce qui lui manquera dans toute sa carrière et en face de tous les sujets, c’est un fonds de sensibilité, c’est l’âme. Il étudie et il comprend avec une rare sagacité l’homme extérieur ; les formes qu’a aperçues son œil clairvoyant, il les traduira le plus souvent d’une main ferme et savamment discrète. Il saura combiner l’imitation de la nature avec l’imitation de l’art antique, et si le style qui revêt ce mélange n’est pas toujours exempt