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Nous l’avons dit pourtant, David obéit une fois à de plus chaleureux instincts. Ce fut, — hélas ! — lorsqu’il peignit ce portrait de Marat, que le nom du modèle condamne à l’infamie, mais que le talent du peintre a élevé au rang des chefs-d’œuvre. Essayez de vaincre la répulsion que vous inspire la renommée de l’abject héros ; oubliez, s’il se peut, l’immoralité du spectacle pour le caractère de la mise en scène : quelle ample simplicité, quelle verve ! Nulle ostentation de science, point d’archaïsme ni de fausse grandeur comme dans le portrait de Lepelletier de Saint-Fargeau, peint par David quelques mois auparavant. Ici la puissance du style ressort de sa justesse même, et les moyens employés s’approprient si exactement au sujet, que partout ailleurs ils sembleraient hors de propos ou de mesure. Que l’on veuille bien examiner les conditions particulières de ce thème hideux. À ne considérer que sa laideur physique, Marat était de nature à décourager le pinceau. De plus, comment donner au portrait une certaine dignité pittoresque, quand la composition de ce tableau n’a d’autres élémens qu’une baignoire, un escabeau et quelques chiffons ? Ou le peintre se contentera de reproduire le fait brut, et le résultat de cette transcription sera aussi peu conforme aux lois de l’art que le style d’un procès-verbal peut l’être aux exigences littéraires, ou bien il réformera si complètement la réalité, que son œuvre n’en reflétera plus rien. Le difficile en pareil cas est donc de se tenir en garde aussi bien contre l’imitation servile que contre l’infidélité prétentieuse, et c’est ce double écueil que David a su admirablement éviter Rien de plus vrai et en même temps rien de plus imposant que l’aspect général de la scène. Et si l’on étudie les détails, comment, ne pas reconnaître partout, dans l’expression du visage, dans le dessin du bras qui pend hors de la baignoire, dans l’effet du fond et des accessoires, dans le coloris même, cette habileté supérieure qui consiste à concilier le naturel et la majesté ? La majesté ! peut-on prononcer ici un pareil mot sans que la conscience se révolte ? Ce sera la le juste châtiment des égaremens de David. Jamais il ne prouva mieux que dans son Marat la vigueur de sa manière, jamais il ne fit acte plus formel de grand peintre, et cependant cette toile ne peut être mise en lumière qu’au risque de diffamer sa mémoire. Honteux chef-d’œuvre propre à exciter du même coup l’admiration et l’horreur, et qui, digne d’un musée, méritera toujours d’être enseveli dans le cabinet de quelque curieux !

Le portrait de Marat et celui de Lepelletier de Saint-Fargeau, offerts, comme on sait, par David à la convention nationale, — quelques têtes peintes sur la toile où il devait reproduire son dessin du Serment du Jeu de Paume, — l’ébauche du jeune Barra mourant, — tels sont les travaux qui résument à la fois la période révolutionnaire