Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/772

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que sur les œuvres grecques du temps de Périclès. Le culte absolu du beau tel qu’on l’avait compris et exprimé en Grèce jusqu’à Phidias, la condamnation en masse de ce que l’art avait produit depuis lors, y compris tous les tableaux italiens, tels étaient les londoniens du système, système assez radical, on le voit, et dont les adeptes s’intitulaient les primitifs, ou, moins modestement encore, les penseurs. Cette étrange secte eut, de 1797 à 1803 environ, sinon une importance réelle, au moins quelque notoriété. Il est vrai qu’à ses prétentions de réforme dans l’art se mêlaient je ne sais quelles arrière-pensées de régénération sociale, et la curiosité pouvait jusqu’à un certain point être éveillée par les théories de ces novateurs, qui, tout en formulant leur esthétique, proposaient par surcroît aux peuples de faire bon marché des mœurs et des croyances modernes. Ajoutons que deux des penseurs, vêtus, l’un en Agamemnon, l’autre en Paris, s’étaient généreusement promenés aux Tuileries dans le dessein de convertir la foule et de lui inculquer le goût du beau. Un pareil acte de courage avait peu de chances d’être imité ; mais on s’en occupa un moment, et la secte, sans recruter de nouveaux adhérens, réussit au moins à faire quelque peu parler d’elle. Quant aux tableaux au moyen desquels on entendait démontrer les hérésies de David et l’excellence du dogme primitif, il faut bien dire qu’ils ne virent jamais le jour. Tout se passa entre les initiés en oisives contemplations devant quelques statues du Musée, en conciliabules où le chef de la troupe, un jeune homme nommé Maurice Quaï, dissertait sur la philosophie de l’art, où M. Charles Nodier figurait à titre de rapsode et tenait la lyre. Aucune main ne tenait les pinceaux. Aussi que reste-t-il aujourd’hui des penseurs et de leur entreprise ? Un vague souvenir de quelques fantaisies extravagantes ou puériles et une brochure de M. Charles Nodier, les Essais d’un jeune barde, dont les fragmens cités par M. Delécluze ne semblent pas de nature à sauver de l’oubli ni la doctrine même, ni celui qui s’en était fait l’apôtre, — ce Maurice Quaï, que le futur auteur de Smarra compare pourtant sans marchander à Moïse, à Homère, à Pythagore, voire « au Tout-Puissant et au Jupiter de Myron. »

Cependant, en dépit de cette espèce de sédition qui s’éleva tout à coup dans l’atelier du maître, et que fomentèrent pendant quelques années tous les paresseux intéressés à s’enrôler parmi les penseurs, David conserva jusqu’au bout son autorité et son attitude de chef : autorité fort peu tyrannique, nous l’avons dit, mais que chacun acceptait sans la discuter. Quelques paroles d’approbation adressées à un élève suffisaient pour enorgueillir celui-ci et lui assurer l’estime de ses condisciples. En dehors de ces succès à huis-clos, le titre seul d’élève de David était auprès des hommes du monde une recommandation