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et Alep jusqu’aux confins du Nedjed, je rentrai à Baghdad en janvier dernier. Parmi les papiers qui m’y attendaient, je trouvai un journal des haras contenant un article sur les Chevaux du Sahara. La lecture de ce morceau trop court, mais qui dénotait une si profonde connaissance de l’Arabe et de son cheval, m’inspira le désir de posséder l’ouvrage entier. À mon arrivée en France, vous avez eu l’extrême obligeance de me l’envoyer, je dois avant tout vous prier d’agréer l’expression de ma reconnaissance.

« Personne ne pouvait lire avec un plus grand intérêt que moi un ouvrage que vous auriez pu certainement intituler : Du Cheval arabe d’Asie et d’Afrique ; car tel est l’esprit de tradition de ce peuple exceptionnel qu’à chaque ligne je reconnaissais dans les mœurs des Mogrebins les mœurs de leurs ancêtres les Nedjeds, et cela après une séparation de bien des siècles.

« En 1851, je descendais le Tigre de Mossoul à Baghdad, j’avais entre les mains un volume d’Hérodote. Toutes ses descriptions des hommes et des choses étaient encore pleines d’actualité. Ainsi il dépeignait, il y a deux mille trois cents ans, les mœurs des Arabes d’aujourd’hui avec la même fidélité que vous, mon général, vous avez su dépeindre en Afrique les Arabes d’Asie ; le temps et l’espace sont impuissans devant l’immuabilité de telles mœurs. Guerres intestines, fantasias, chasses, amour pour le cheval, etc., j’ai tout vu en Asie, tel que vous l’avez décrit en Afrique.

« Votre ouvrage, qui a le grand mérite de contenir toute la vérité et en même temps rien que la vérité, est appelé à exercer une grande influence sur l’éducation du cheval en France. Cette lecture pleine de charmes développera le goût du cheval chez ceux qui ne s’en sont pas encore occupés, et nos éleveurs puiseront d’utiles documens parmi les nombreux faits d’éducation que vous citez avec l’autorité d’une longue et si intelligente expérience. Ils apprendront enfin à ne plus réserver leur admiration pour un cheval dont la première qualité est la graisse, et ils connaîtront les avantages que l’on doit retirer de l’exercice précoce auquel on soumet le poulain pendant son premier âge. Le cheval est dans le travail, disent les Arabes. Il faut donc l’y habituer de bonne heure.

« J’ai vu tous les Arabes, et surtout les Nedjeds, soumettre leurs chevaux de deux à trois ans aux plus rudes épreuves. Ils les réduisent, à force de travail, à la dernière expression de misère. Après ces rudes épreuves, le moindre repos remet le cheval, et son maître sait alors ce qu’il doit en espérer.

« Il est un fait cependant qui m’étonne, permettez-moi de vous en parler, c’est la supériorité qu’Abd-el-Kader accorde au cheval sur la jument, et cela de la manière la plus positive. Chez tous les Arabes d’Asie, et surtout chez les Nedjeds et les Annazas, où se trouvent sans contredit les premières races de chevaux, la jument est considérée comme bien supérieure au cheval, et je ne puis croire que le seul motif d’intérêt détermine les Arabes à placer la jument si au-dessus du cheval.

« A la naissance d’un poulain, quelle que soit la noblesse de son sang, son arrivée est pour ainsi dire regardée comme un malheur. Naît-il une pouliche au contraire, grande joie, grande fête dans toute la famille ! Cette pouliche est appelée à continuer la race ; Mahomet est entré dans la tente. Ni femmes ni enfans ne se permettraient de soustraire une goutte du lait