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chevaline très importante à élucider : celle de la supériorité du cheval sur la jument, ou de la jument sur le cheval. J’affirmais que les Arabes ne donnaient la préférence à la jument que parce qu’elle fait des petits et que ces petits rapportent de l’argent, et quelquefois beaucoup d’argent. M. Petiniaud voyait au contraire dans cette préférence une preuve de la supériorité que les Arabes auraient, selon lui, accordée à la jument. Comme l’opinion de M. Petiniaud ne s’était pas formée à la légère, qu’elle était le résultat de longues et consciencieuses observations, que pour être déracinée elle avait besoin d’une autorité plus considérable que la mienne, je lui proposai de faire intervenir Abd-el-Kader dans ce débat. Je fis remarquer à M. Petiniaud qu’aucun arbitre n’était plus compétent que l’émir, qu’il était sur les lieux, qu’il voyait chaque jour les hommes les plus influens du désert, que parmi ses compagnons il en était qui avaient une célébrité incontestée en matière chevaline, qu’enfin, quoi qu’il décidât, notre désaccord devant tourner au profit de la science, nous aurions tous les deux à nous féliciter du résultat obtenu. M. Petiniaud accepta, et voici la réponse qu’Abd-el-Kader fit aux questions que je lui posai :


LA JUMENT ET L’ÉTALON.

 « Louange au Dieu unique,
« Son règne seul est éternel. »

« A celui que nous aimons, à celui qui sait rendre simples les affaires les plus difficiles, le général Daumas. Que le salut soit sur vous et votre famille, ainsi que la miséricorde et la bénédiction de Dieu. Et ensuite je vous dirai que j’ai reçu votre lettre chérie ; elle contient des questions très graves sur la race chevaline. Je vais y répondre de mon mieux et point par point.

« Première question. — La mère donne-t-elle au poulain plus de ses qualités et perfections que l’étalon, ou bien au contraire le poulain prend-il plus des qualités et perfections de son père ? »

« Voici ma réponse :

« Le poulain provient de l’étalon et de la jument, cela est vrai ; mais l’expérience des siècles a démontré que les parties essentielles de son corps, — comme les os, les tendons, les nerfs et les veines, — procèdent toujours du père. Il n’y a pas de doute à élever là-dessus, car le dernier Arabe sait aujourd’hui que toutes les maladies qui sont inhérentes aux os, aux tendons, aux nerfs et aux veines, et qui se trouvent dans l’étalon au moment de la monte, se perpétuent dans son produit, quelque temps qui s’écoule. — Je citerai