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perdu plus de 800 millions de francs. Apri’s la faillite des banques, l’agriculture elle-même, cette calme industrie des planteurs et des pionniers de l’ouest, fut affligée par des désastres presque aussi considérables.

Depuis que les chemins de fer se sont relevés de leurs premiers échecs, l’œuvre n’a plus cessé d’avancer, et d’avancer d’un pas ferme et régulier, jusque dans les momens de la plus vive précipitation. Chaque progrès accompli a été le signal d’un progrès nouveau. À voir les projets qui surgissent en ce moment, malgré la crise industrielle dont l’Union a été frappée en 1854, on croirait que le peuple américain s’imagine n’avoir encore rien fait. Il reste en réalité devant lui une tache énorme à remplir. Les prodiges destinés à se renouveler sur son territoire semblent devoir tenir longtemps en éveil l’étonnement de l’Europe. Les Américains viennent de mettre la main à une opération colossale, qui dépasse toutes celles que nous avons vues se produire chez eux. Il ne s’agit plus seulement de poser des rails le long des côtes de l’Océan-Atlantique ou à travers la vallée du Mississipi ; il ne s’agit plus même d’escalader la chaîne des Alleghanys ou les Montagnes-Blanches : ce qu’on veut établir, c’est une voie ferrée ininterrompue entre les deux océans, une voie qui permette de se rendre de Boston, de New-York, de Philadelphie, de toutes les villes du bassin de l’Atlantique, à travers les immenses déserts de l’ouest, à travers les Montagnes-Rocheuses, jusqu’aux embouchures du Sacramento et de la Colombie, sur les rivages de l’Océan-Pacifique. Une telle œuvre ne confond-elle pas l’imagination la plus hardie ? L’espace à parcourir est de 4,827 kilomètres, et en se plaçant aux points où aboutissent les chemins de fer du côté de l’ouest, il est encore d’environ 3,700 kilomètres ! cette entreprise a pour but non-seulement de faciliter les relations des contrées orientales de la confédération avec la Californie, mais aussi de s’emparer un jour d’un important transit, en offrant un commerce européen la voie la plus courte pour gagner le Céleste-Empire.

C’est en cherchant, comme on sait, du côté de l’ouest, une route vers les rivage asiatiques que Christophe Colomb alla se heurter au continent américain. Longtemps même on se plut à croire que cette longue terre ne formait pas une muraille continue, et qu’il devait se trouver quelque part une ouverture conduisant d’un océan à l’autre. Vain espoir ! au sud, il fallut descendre, pour rencontrer un passage, jusqu’au détroit de Magellan et au cap Horn, tandis qu’au nord on dut s’arrêter devant des glaces éternelles. Un intrépide explorateur français, dont nous avons ici même esquissé la vie aventureuse, Robert Cavelier de La Salle.[1], avait eu le premier l’idée de l’établissement d’une voie intérieure pour relier les deux mers de l’est à l’ouest. Les Américains, qui connaissent mieux que nous les recherches si vastes accomplies au XVIIe siècle par notre compatriote, ont souvent cité avec éloge les passages de dépêches où il exprime l’opinion qu’en remontant le Mississipi jusqu’à ses sources, on pourrait se trouver à portée des rivières qui versent leurs eaux dans l’Océan-Pacifique[2]. Quoique cette espérance

  1. Voyez la Revue du 1er février 1846.
  2. Voyez l’ouvrage intitulé On the Discovery of the Mississipi, by M. Thomas Falconer, et un autre écrit, Life of La Salle, by M. Sparks.