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dût être déçue, La Salle n’en avait pas moins énoncé là l’idée même que nous voyons fermenter aujourd’hui au sein d’un peuple infatigable.

Plus tard, et durant de longues années, le monde, détournant ses regards des solitudes du continent, réputées infranchissables, concentra son attention sur la langue de terre qui unit au fond du golfe mexicain les deux vastes feuillets de l’Amérique. Le percement de l’isthme de Panama fut le rêve de plusieurs générations d’hommes, puis l’établissement d’un chemin de fer sur le même point devint l’objet d’une préoccupation générale ; mais cette dernière œuvre, courageusement attaquée, n’était pas encore parvenue à son terme, la dernière section du railway n’était pas encore ouverte[1], que cette route si longtemps désirée ne répondait déjà plus aux vœux du peuple américain. Les États-Unis ambitionnent d’avoir une ligne ferrée sur leur propre territoire, une ligne qui aboutisse à ces pays nouveaux où des découvertes imprévues appellent des flots de population, et à qui semble prochainement réservé un rôle considérable dans le mouvement économique du monde.

Le trajet, par mer, même raccourci grâce au railway de Panama, semble trop long d’ailleurs à l’impatience américaine. De hardis et avides pionniers, marchant vers la Californie, ont réussi à gagner par terre, en caravanes plus ou moins nombreuses, à travers des solitudes de l’aspect le plus sauvage et des périls sans nom, les Montagnes-Rocheuses et les côtes du Pacifique. Ces excursions ont puissamment contribué à répandre et à fortifier dans l’esprit public l’idée d’un chemin de fer central. Les plans ont dès lors surgi de tous côtés. Les directions les plus diverses ont été proposées. Ici, on voulait prendre par le nord et partir du lac Michigan pour gagner l’embouchure de la Colombie, en construisant un embranchement sur San-Francisco ; là, on fixait au contraire le point de départ à l’extrémité méridionale des États-Unis, sur le golfe du Mexique, à l’ouest du Mississipi, dans un des ports du Texas, pour remonter ensuite le long des frontières mexicaines. Ailleurs, on plaçait la tête de la ligne sur les bords du Mississipi, à Memphis, dans le Tennessee, entre l’embouchure de l’Ohio et celle de la Rivière-Rouge ; mais au lieu d’aller aboutir aux contrées célèbres du Sacramento, on s’arrêtait au port de San-Diego, sur les confins des deux Californiens, après s’être avancé vers le Rio-Colorado par le nord du Texas. Ces deux derniers projets avaient un tort grave aux yeux d’un peuple jaloux de ses voisins comme le peuple de la confédération ; ils avaient le tort de paraître aussi avantageux au Mexique qu’aux États-Unis. Les Américains ont préféré celui de tous les plans qui aborde le plus résolument la difficulté, et qui suit la ligne la plus directe et la plus centrale. Le point de départ est placé près du continent du Missouri et du Mississipi, à cette ville de Saint-Louis dont la position a été si admirablement choisie par les missionnaires de la compagnie de Jésus. De Saint-Louis, le chemin doit gagner San-Francisco et recevoir un embranchement sur la rivière Colombie. À l’heure qu’il est, on y travaille, et on y travaille avec tant d’ardeur, que le service est installé sur un espace de 60 kilomètres. Les travaux se poursuivent dans toute la largeur de l’état du Missouri jusqu’aux environs de la ville d’Indépendance. On touchera bientôt

  1. l’inauguration a dû avoir lieu le 1er mars 1855.