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qui saluait le pouvoir nouveau, ce fut seulement pour s’en moquer.

Cet entraînement devait toutefois se dissiper bientôt, et comme par un coup de baguette magique. Quelques chemins avaient fini par éprouver de la peine à se procurer des fonds ; pour d’autres, les titres étaient tombés au-dessous du cours d’émission. Voilà que tout à coup, à ces seuls indices qu’on ne regardait même pas la veille, on s’imagine voir des abîmes ouverts de toutes parts. La peur grossit les difficultés d’une situation excessivement tendue. Comme dans toutes les paniques financières, les capitaux se resserrent en un clin d’œil. Tout créancier veut être remboursé, nul débiteur ne veut payer sa dette. Tandis que le taux de l’intérêt monte, les fonds publics fléchissent, et les marchandises entassées dans les magasins perdent, d’une semaine à l’autre, 20, 30, 40 pour 100. Dans les districts manufacturiers, des fabriques se fermèrent, et la population qui les remplissait resta plusieurs mois inoccupée. On devine facilement ce que devinrent les petits capitalistes qui avaient non-seulement placé leurs épargnes dans les chemins de fer, mais excédé leurs forces afin de réaliser un bénéfice plus étendu. Il leur fallut vendre leurs titres avec des pertes énormes. Aux rêves dorés de la veille succédèrent les plus sinistres réalités.

À la suite des débordemens de la spéculation, l’histoire des chemins de fer anglais nous fait assister durant deux ou trois ans à une sorte d’inertie. Les années 1838 et 1839 n’ajoutèrent qu’un très petit nombre de lignes au réseau déjà autorisé. Malgré les pertes individuelles qui en étaient résultées, le mouvement désordonné de 1836 eut une action très considérable sur le développement des voies ferrées dans la Grande-Bretagne. Il compléta la révolution commencée dans les moyens de transport. Restreints jusque-là à quelques districts, les essais s’étendirent désormais sur toutes les parties du territoire. La spéculation avait donné naissance à des lignes d’une importance réelle. Aussi la crise ne compromit-elle pas l’avenir du nouveau système ; dès qu’elle se fut apaisée, on reconnut que les chemins de fer démentaient avec éclat les préventions de 1826 et de 1830.

La situation financière ne fut pas trop longtemps à se régulariser. Aussitôt que les actions, même celles qui étaient le plus déchues de leur taux primitif, eurent un cours normal et une circulation facile, la perte fut regardée comme étant liquidée. Ceux qui s’étaient ruinés, emportant avec eux leur douleur, avaient disparu de la scène au milieu de l’indifférence générale. Déjà, en 1840, la spéculation était revenue à son étal ordinaire. Beaucoup de capitalistes sérieux étaient résolument engagés dans les entreprises de railways. Les négocians de Liverpool et les industriels de Manchester, ardens promoteurs des voies nouvelles, figuraient en majorité parmi les actionnaires d’un grand nombre de lignes. De 1840 à 1842, l’horizon paraît complètement éclairci, et le bilan des principales compagnies se présente même sous les plus séduisantes couleurs. C’est à ce moment-là que les voies ferrées de l’Angleterre, dont l’ensemble se déroulait sur un espace de 2,550 kilomètres, sont le plus fécondes pour les actionnaires. On arrivait parfois à des dividendes auxquels personne n’aurait pu croire, trois années auparavant. Le chemin de Birmingham donnait un peu plus de 11 pour 100 du