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Malgré les enseignemens résultant ici d’une expérience trop fameuse, l’autorité des comités de direction demeure encore tout à fait exorbitante. Le mal tient au système administratif des compagnies anglaises. On a particulièrement reproché à ce régime de se grêler au triomphe d’intérêts opposés à ceux des actionnaires, notamment en ce qui touche à l’extension des lignes primitives[1]. En se laissant aller à agrandir le cercle des exploitations, soit par l’acquisition d’autres lignes, soit, par la construction d’embranchemens, si les directeurs des compagnies commettent quelquefois de simples erreurs d’appréciation, il arrive trop souvent que les mesures prises tiennent à des calculs personnels, et sont de véritables abus de confiance. Tels directeurs cherchent par exemple une occasion de vendre avantageusement des terrains à leur propre compagnie ; tels autres voient dans un embranchement les facilités qui doivent en résulter pour l’exploitation de leurs domaines. Les comités ont au besoin derrière eux, pour les pousser en avant, les agens parlementaires, les ingénieurs et les entrepreneurs de travaux, toujours avides d’opérations nouvelles. On a cru qu’il serait possible de remédier à ces abus en mutilant l’autorité des assemblées générales d’actionnaires, qui, faute d’être suffisamment éclairées, accordent trop aisément des votes contraires à leurs véritables intérêts. Ce serait là une mesure des plus fâcheuses, un de ces moyens préventifs absolus qui, pour empêcher le mal, suppriment la possibilité de faire le bien. La résistance aveugle ou capricieuse de quelques actionnaires ne doit pas pouvoir empêcher une compagnie de recourir à des combinaisons reconnues utiles. Que la voix de la majorité ne puisse être étouffée ou faussée par des intérêts individuels, voilà tout ce que réclame l’équité. Si le jeu des assemblées générales était régularisé, les inconvéniens dont on se plaint auraient bientôt disparu. Or l’idée de cette régularisation n’est pas une idée chimérique. Fixez par exemple un délai assez étendu entre la convocation et la réunion des actionnaires ; obligez les comités de direction à donner par avance des explications précise, au moyen de notes imprimées, sur l’objet des délibérations, et à transmettre également à chacun des actionnaires les objections qui viendraient à se produira : — vous aurez déjà les bases d’une digue rassurante.

L’importance de ces questions pour l’Angleterre est facile à comprendre, quand on sait que les sommes engagées dans les chemins de fer chez nos voisins touchent à 8 milliards de francs. Tout l’édifice de la fortune publique se trouve affecté par les oscillations de ces valeurs. L’ensemble des lignes concédées jusqu’en 1854 embrassait une étendue de 20,415 kilomètres, dont 12,367 étaient en exploitation[2]. La somme totale que les compagnies avaient été autorisées à lever, soit par l’émission d’actions, soit par voie d’emprunt, montait à plus de 9 milliards 169 millions île fr ancs ; mais à ce moment-là on n’avait profité de ces autorisations que jusqu’à concurrence d’à peu près 7 milliards, et ce capital était réparti entre 239 chemins. Les nouvelles concessions,

  1. Voyez à ce sujet un article publié dans l’Edinburgh Review au mois d’octobre 1854, sous ce titre : Raiway morals and Railway policy.
  2. Les chemins exploités se partagent entre les trois royaumes de la manière suivante : 9,410 kilomètres pour l’Angleterre et le pays de Galles, 1,601 kilomètres pour l’Ecosse, 1,356 kilomètres pour l’Irlande.