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à Venise ! » C’est ainsi que Beethoven a traité Rossini, c’est ainsi que Weber s’est exprimé sur l’auteur de la symphonie en ut mineur, et que Haendel a dit de Gluck : « Il ne sait pas plus de contrepoint que mon cuisinier. » Aussi comme elle est vraie, cette remarque de Stendhal dans son Histoire de la Peinture en Italie : « Le véritable artiste au cœur énergique est essentiellement non tolérant. Avec la puissance, il serait un despote affreux. » Or nous n’avons pas besoin de dire que la qualité suprême d’un critique comme Lessing, Schlegel, Grimm ou Diderot est précisément la qualité contraire, c’est-à-dire l’impersonnalité, l’aptitude à comprendre et à admirer les œuvres diverses des différens génies, en leur assignant une place dans le grand livre de la vie.

La Société des concerts, qui a déjà vingt-huit ans d’existence, a fait cette année quelques efforts pour accroître son répertoire de quelques noms nouveaux et sortir de ce cercle de demi-dieux où elle se complaît trop à vivre. Haydn, Mozart, Beethoven, Weber, Mendelssohn, qui sont les maîtres qu’elle préfère, sont-ils cependant-les seuls musiciens qu’il y ait au monde ? Pourquoi la Société des concerts approche-t-elle avec si peu de discernement de la grande figure de Sébastien Bach ? Pourquoi donne-t-elle toujours les mêmes morceaux de Haendel et toujours le même psaume de Marcello ? Nous approuvons la sévérité qu’elle apporte à L’égard de certaines réputations contemporaines qu’il faut laisser à l’admiration de cette publicité sans vergogne et sans autorité

Qui les a plantés
Et les a vu naître,
Ces beaux rosiers !


Mais nous voudrions qu’elle fût plus hardie à fouiller dans les archives du passé, si riches surtout en chefs-d’œuvre de musique vocale. Au premier concert qu’elle a donné le 21 janvier 1855, nous avons remarqué quelques fragmebs d’un oratorio de Mendelssohn, Elie, composés d’un air de basse d’un beau caractère, mais dépourvu d’originalité, d’un récitatif que M. Berlioz a trouvé de son goût, puisqu’il l’a reproduit dans son Enfance du Christ, ainsi qu’il avait pris à Palestrina le petit chœur des anges. Le récitatif de Mendelssohn a été suivi d’un chœur d’un accent solennel, mais de formes un peu vagues, comme toute la musique vocale de ce maître ingénieux. Au second concert, qui a eu lieu le 28 janvier, on a exécuté la neuvième et dernière symphonie avec chœurs de Beethoven, dont le premier morceau se développe péniblement, et dont l’andante reste pour nous la partie saillante. Cette grande composition dépasse trop les limites de l’attention humaine pour être complètement belle ; c’est une œuvre colossale où il semble que Beethoven ait voulu donner la mesure de l’envergure de son génie. Un motet de Bach en double chœur a suivi la symphonie de Beethoven. De quelle œuvre de Bach provient ce morceau d’une harmonie si puissante et d’un si grand effet ? Les programmes de la société, qui sont rédigés avec si peu de soin et d’intelligence, se taisent complètement sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres. En général, ces messieurs qui forment le comité de la Société