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venus, et ne reculant même pas devant les ouvertures de M. H. Berlioz. La jeunesse est si courageuse ! Jusqu’ici nous nous étions abstenu de pénétrer dans cette grande classe de récréations lyriques, n’ayant pas l’habitude d’entretenir le public de choses qui ne sont pas dignes de son attention. Celle année nous avons été plus curieux, et nous n’avons pas lieu de regretter notre temps. Au concert que la société des jeunes artistes a donné le vendredi saint, nous avons entendu une charmante symphonie de M. Gounod, composée expressément pour cette jeune phalange d’exécutans intrépides. La symphonie de M. Gounod, aux proportions modestes, renferme de jolis détails et des idées fraîches qui ont été rendus par l’orchestre avec un ensemble chaleureux. Si M. Pasdeloup veut avoir de l’ambition, il lui sera facile d’agrandir le champ de bataille de sa petite armée et d’attirer sur elle l’attention des vrais amateurs.

À côté de ces grandes réunions de symphonistes, il existe à Paris plusieurs autres sociétés qui se consacrent à l’exécution des quatuors, des quintettes, et de toutes les compositions qu’on désigne sous le nom générique de musique de chambre. Parmi ces sociétés, généralement composées d’artistes éminens, il faut placer au premier rang celle qui a été fondée depuis huit ans par MM. Alard et Franchomme. C’est là, dans les séances qu’elle donne tous les ans à la salle Pleyel, qu’on peut entendre exécuter dans la perfection les quatuors et les quintettes de Haydn, de Mozart, de Beethoven, de Weber, de Mendelsohn, de Schubert et de Boccherini. M. Alard surtout, qui est un violoniste distingué, un digne élève de Baillot, dont il continue l’enseignement, apporte dans l’exécution de la musique des maîtres, dont il a la modestie de vouloir se contenter, un entrain, une chaleur communicative et une passion pour les belles choses dont on ne peut trop le louer, et qui révèlent un véritable artiste. À la deuxième séance, qui a eu lieu le 4 février, nous avons entendu un trio de Beethoven pour piano, violon et basse, qui a été admirablement exécuté par MM. Alard et Franchomme, et le jeune Planté, un enfant de quinze ans, qui joue du piano comme un maître, Élève d’abord de Mme Saint-Aubert, un de ces professeurs modestes qui se contentent de bien faire en laissant à d’autres la renommée, le jeune Planté est entré au Conservatoire, dans la classe de M. Marmontel, qui lui a fait remporter facilement le premier prix. Le jeu de cet enfant se fait remarquer par la précision, la netteté et un sentiment si juste de la musique qu’il interprète, qu’on s’aperçoit bien qu’il n’exprime que ce qu’il sait et que ce qu’il éprouve. Cette absence d’affectation, qu’on remarque chez tous les enfans précoces, est surtout ce qui nous a frappé dans le jeune Planté, qui n’a pas l’air de se douter de tout ce qu’il y a de fini et de goût dans son talent. La séance s’est terminée par un délicieux quintette en sol mineur de Boccherini, plein de grâce et de naturel, qu’on dirait avoir été inspiré par Cimarosa ; il est du moins sorti d’une source semblable. À la quatrième séance, donnée le 4 mars, nous avons surtout remarqué des variations de Beethoven pour piano et violoncelle sur un thème de Haendel, emprunté à l’oratorio de Samson. Ce morceau a été exécuté par le jeune Planté et le fils de M. Franchomme, autre jeune virtuose plein d’avenir et qui promet d’égaler au moins son père. Le quintette en mi bémol de Mozart,