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Ce qui prouve d’ailleurs que M. Berlioz n’a jamais eu lui-même grande confiance dans sa destinée de compositeur, c’est la double carrière qu’il a voulu parcourir simultanément. Se figure-t-on un homme comme Beethoven par exemple, — et M. Berlioz ne se plaindra pas de ce rapprochement forcé, — portant dans son âme et dans son génie les élémens épars du poème divin dont il a enrichi le monde, et s’amusant à écrire des articles dans les.journaux de Vienne sur les vaudevilles mis en musique par ses contemporains. Il y aurait dans ce double emploi de facultés qui s’excluent plus qu’une inconséquence, plus qu’une grande difficulté dans les relations de la vie : ce serait la négation de la nature même des choses. Nous l’avons déjà dit, la critique exige avant tout de l’impersonnalité et des principes immuables qu’on applique à des formes sans cesse changeantes. L’écrivain n’invente pas les principes sur lesquels il s’appuie, car il n’y a pas plus de vérités nouvelles à découvrir dans l’ordre moral que dans l’ordre esthétique, et il faut se défier de tout réformateur qui apporte, avec lui une théorie dont le passé n’aurait pas eu connaissance. Les grandes révolutions morales se font avec des lieux-communs, et les génies créateurs n’ont jamais eu besoin de promulguer de nouvelles théories pour enchanter le monde.

Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques.

Aussi ne craignons-nous pas d’affirmer que M. Berlioz, avec de nobles facultés, a failli à la double mission qu’il s’était imposée, et que le style de ses compositions musicales ne vaut pas mieux que celui de ses écrits, où la partialité, le paradoxe et les plus grandes trivialités se mêlent au lyrisme le plus extravagant.

Au milieu de la nombreuse colonie de musiciens allemands qui vivent à Paris, il existe un artiste modeste, un rêveur solitaire et distingué, dont les compositions pour le piano méritent d’être signalées. M. Stephen Heller, qui est assez connu en Allemagne, commence à l’être aussi parmi nous ; mais il n’a pas acquis cette popularité bruyante dont ses émules et ses rivaux connaissent le prix. Il vit à l’écart, ne joue jamais en public, médite, travaille et s’efforce de se frayer un chemin, un petit sentier fleuri entre Mendelssohn, dont il a parfois la facture, et Chopin, dont il possède la grâce flottante et la douce mélancolie. Les diverses compositions de M. Stephen Heller, telles que ses Préludes, ses Promenades d’un solitaire, ses Nuits blanches, ses Rêveries dans les bois, qui viennent de paraître, ne sont empreintes sans doute ni d’une grande originalité d’inspiration, ni d’une forme saillante et longuement développée ; c’est un peu court, mais toujours distingué, et ses morceaux, fort recherchés des amateurs, révèlent un poète, qui confie au piano des idées délicates et charmantes.

Le savant directeur du conservatoire de Bruxelles, profitant de quelques jours de loisir, est venu à Paris, où a il donné dans la salle Herz, le 14 avril, un de ces concerts de musique rétrospective qui ont en tant de retentissement il y a une vingtaine d’années. Nous avons déjà dit dans cette Revue que l’idée de faire entendre au public parisien de la musique antérieure à