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du principe qu’elle avait admis. Elle n’a point refuse sans doute de s’engager à respecter l’intégrité et l’indépendance de l’empire ottoman, mais elle a refusé tout ce qui constituerait une garantie active ; en d’autres termes, elle offrait une garantie chimérique et illusoire, qui ne l’engageait à rien, lors même qu’une province turque eût été envahie. Par une circonstance singulière qui démontre la persistance des vues de la Russie, M. de Bourqueney a pu rappeler que dans la négociation du traité de 1841 il avait, trouvé déjà la même résistance opiniâtre sur ce point chez les plénipotentiaires russes. Quant à la limitation des forces navales, elle a été absolument et invinciblement repoussée, de telle sorte que la situation restait la même ; elle était peut-être aggravée au contraire : elle se résumait dans une garantie sans efficacité donnée à la Turquie et dans la continuation d’une prépondérance menaçante.

En définitive cependant qu’a proposé la Russie ? Elle a proposé l’ouverture des détroits d’abord ; mais une telle concession ne pouvait être considérée comme fort sérieuse, parce qu’outre qu’elle était faite aux dépens du sultan, elle répondait peu à l’objet de la guerre actuelle, qui n’est point sans doute de permettre à la Russie de faire arriver sa flotte de la Baltique dans la Mer-Noire, et d’accroître ainsi une force déjà démesurée. C’est alors que les plénipotentiaires russes ont provoqué une dernière réunion de la conférence pour faire une suprême proposition. C’était de maintenir la clôture des détroits, en réservant au sultan la faculté d’appeler dans la Mer-Noire les vaisseaux de ses alliés, s’il jugeait sa sûreté menacée. En premier lieu, c’est une faculté que le sultan n’a pas besoin de recevoir de la Russie, sans aucun doute. Qu’on remarque en outre le singulier caractère d’un arrangement qui suppose la nécessité de recourir de nouveau à un secours étranger, et qui par cela même constate le péril. Ru reste l’article présenté par le prince Gortchakof n’avait garde de spécifier le genre de danger qui pouvait menacer la Turquie, et impliquait la faculté pour le sultan de faire appel à la Russie aussi bien qu’à la France et à l’Angleterre. C’est là en effet une des tactiques de la Russie dans ces négociations. C’est une de ses habiletés de représenter toutes les puissances comme étant dans une situation d’égalité vis-à-vis de la Turquie, et de se montrer préoccupée de l’indépendance ottomane. Si une puissante flotte russe est nécessaire dans la Mer-Noire, c’est pour garantir cette indépendance et en même temps l’équilibre de l’Europe ! En réalité cependant, on le sait bien, il n’y a nulle parité dans la situation de la Russie et celle des autres états de l’Europe vis-à-vis de l’empire ottoman. Ni leurs rapports, ni leurs précédens, ni leurs ambitions, ne sont les mêmes. Personne ne soupçonnera les diverses puissances européennes, comme le disait un plénipotentiaire autrichien, M. de Prokesch, de vouloir attenter à l’intégrité de la Turquie, parce que ce n’est point leur intérêt, parce que ce n’est point leur vocation, suivant le mot que la Russie s’applique à elle-même. Qui en Europe peut menacer l’indépendance ottomane ? Même quand la France eut l’idée de prêter son appui au pacha d’Égypte, à Méhémet-Ali, ce n’était nullement dans la pensée de porter atteinte à l’existence indépendante de la Porte ottomane. Cela pouvait être une erreur, mais on se laissait aller au contraire à l’illusion d’une régénération possible de l’empire turc