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permanent à l’alliance de l’Autriche, de l’Angleterre, de la France et de la Turquie, et les aurait engagées pour une action commune, au cas où la puissance russe fut redevenue menaçante. Il est aisé de saisir l’économie et la gradation de cette combinaison. Le premier article eût été facilement admis sans doute ; le second organisait déjà une guerre nouvelle ; le troisième supposait cette guerre imminente, et lui imprimait le caractère d’une fatalité toujours prête à renaître. Il est probable que les gouvernemens de France et d’Angleterre ont hésité devant l’acceptation d’un moyen qui ne faisait que constater un péril qu’il s’agit de conjurer aujourd’hui. La retraite de M. Drouyn de Lhuys sur ces entrefaites s’explique sans doute parce que l’ancien ministre des affaires étrangères aurait été plus particulièrement frappé des avantages de la proposition autrichienne, soit que la Russie l’acceptât, soit qu’elle la repoussât ; il ne serait point impossible cependant qu’elle ne se rattachât plus encore aux communications qui ont dû avoir lieu à cette occasion entre Londres et Paris. Du reste la question demeure entière, et l’Autriche n’a pu évidemment considérer le moyen de pacification éventuelle qu’elle proposait que comme une combinaison digne d’être examinée, mais qui ne la dégageait d’aucune de ses obligations. Ces obligations en effet restent intactes et conservent toute leur force.

Le but poursuivi par l’Autriche, de concert avec l’Angleterre et la France, est-il atteint ? Les négociations de Vienne n’ont-elles pas mis à nu l’inflexibilité des prétentions russes ? Comment dès lors le gouvernement de l’empereur François-Joseph hésiterait-il devant les nécessités d’une politique qu’il a librement choisie dans l’intérêt de l’Europe comme dans l’intérêt de l’Autriche et de la puissance germanique ? Il serait difficile de dire ce que fera le cabinet de Vienne dans un délai déterminé. Ce qu’il fera définitivement ressort de sa situation même, de ses antécédens, de ses engagemens, de ce qu’il se doit à lui-même, pourrait-on dire. Il faut bien le remarquer, se rejeter aujourd’hui dans l’immobilité, ce serait pour l’Autriche reculer au-delà de la Prusse elle-même, car enfin la Prusse n’a point accepté un rôle actif dans la question qui s’agite. On peut trouver que le cabinet de Berlin se résigne trop aisément à la politique d’une puissance de second ordre ; on ne saurait l’accuser d’éluder des engagemens qu’il n’a pas pris, qu’il a refusé de contracter, au risque de rester hors d’une des plus grandes affaires de ce siècle ; on ne peut même en vérité l’accuser de trop d’habileté. Il y a une considération qui n’a pas moins de valeur. Personne n’ignore les puissans moyens d’action qu’a la Russie en Allemagne. Ces moyens se sont manifestés dans toute cette crise, ils se manifestent encore. Eh bien ! en présence de ces deux faits, l’hésitation de l’Autriche à faire appel aux états allemands et le travail obstiné de la politique russe au-delà du Rhin, que serait-on porté à conclure ? C’est qu’au sein de l’Allemagne même la Russie est plus maîtresse encore que l’Autriche, puisqu’elle la neutralise et l’empêche de suivre l’impulsion de sa politique. Enfin il est un motif puissant pour déterminer le cabinet de Vienne, et ce motif tire encore plus de valeur de quelques incidens récens. Depuis que la guerre est née, on n’a pu méconnaître qu’elle pouvait frayer une issue à toute sorte de questions nouvelles et périlleuses, fomenter des passions, réveiller l’espoir des nationalités