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tion, de s’asservir à tous les entraînemens et de croire qu’ils vont suppléer par une foule de forces nouvelles et incohérentes à quelques vérités premières et immuables. Ces vérités ne cessent point de luire sur le monde et d’en être la règle. Si elles pâlissent, l’obscurité et l’incertitude règnent dans les âmes ; quand les sociétés se sentent malades, c’est qu’elles ont à demi secoué cette salutaire domination. Il y a bien longtemps que cela a été dit, on ne tombe que du côté où l’on penche. Notre siècle ne penche pas vers l’excès du spiritualisme. Ce n’est pas qu’il n’y ait toute sorte de spéculations ardentes : il y a même des mystiques ; mais, par une bizarrerie propre à notre époque encore plus qu’à toute autre, ce sont des mystiques matérialistes, qui ne font qu’ajouter à la confusion et au désordre. C’est ce qui donne plus de prix à ces vives et sévères notions résumées et fortifiées, s’il se peut, dans ce livre de M. Cousin sur le Vrai, le Beau et le Bien, qui vient d’avoir une édition nouvelle, et dont les Premiers Essais de philosophie, récemment refondus et réimprimés, sont comme les prolégomènes. Lorsque M. Cousin commençait sa carrière, il la commençait, et ce fut son mérite, en relevant le drapeau du spiritualisme, en rompant avec les idées du XVIIIe siècle, qui n’étaient pas seulement le démenti de la vérité philosophique, qui étaient « la racine des malheurs de la patrie, » selon l’expression éloquente de l’auteur, parce qu’en propageant le scepticisme et le matérialisme, elles tuaient d’avance la liberté elle-même. Le vrai qui est le but de la philosophie, le bien qui est la règle de la vie pratique, le beau qui est le souverain idéal de tous les arts, c’est le spiritualisme tout entier, qui s’appelle religieusement le christianisme, qui se confond souvent avec lui et ne peut le contredire. Quelque nom qu’on lui donne, c’est toujours la même doctrine relevant l’âme par le sentiment de son immortalité, restituant l’idée du droit et de la justice dans la politique, l’idée du devoir dans la vie, l’idée de la liberté et de la responsabilité dans la conscience humaine, l’obligation morale partout. Il y a des esprits exclusifs qui proclament l’incompatibilité de la philosophie et de la religion. Il en est ainsi certainement s’il s’agit des philosophies qui abolissent Dieu, réduisent la morale à un calcul d’intérêt ou de bonheur, et mettent la liberté dans l’ivresse du droit individuel. Il n’en est pas de même de la philosophie véritable, qui rassemble toutes les grandes notions et cherche à les coordonner dans la mesure des forces de l’intelligence humaine. Ce spiritualisme généreux, ainsi que le dit M. Cousin, c’est la philosophie du christianisme, de même que le christianisme est sa religion. Là est leur lien. Religion et philosophie ne s’excluent pas, elles marchent par des voies différentes, par la foi et par la science, à un même but, qui est de rehausser les esprits et les cœurs, en les remettant en présence des devoirs, des obligations et des grandeurs de leur destinée morale.

C’est à ce point de vue que la philosophie est une lumière et une force, de même que l’histoire est une grande école pratique, qui montre comment dans la réalité les faits ne se succèdent point au hasard, comment la responsabilité des hommes est à chaque instant engagée. L’histoire dans tout son cours est un drame et une leçon. Elle tire son intérêt et sa moralité de la puissance des événemens, de la mêlée des passions et des caractères, de la suite même des choses. Le sens du drame se fait jour à mesure qu’on peut