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I

Si l’on voulait, sans sortir du tangage mystique, donner un titre exact à la Cité de Dieu, il faudrait l’appeler, de l’aveu de saint Augustin lui-même[1], le Livre des deux Cités. Le sujet de l’ouvrage, en effet, c’est la lutte de la cité de Dieu contre la cité du diable, ou, pour parler en termes profanes, c’est ce combat du bien contre le mal qui fait le fond de la vie humaine et de toutes choses.

Pourquoi cette lutte ? où en est l’origine ? comment poursuit-elle son cours à travers les âges ? à quel terme doit-elle aboutir ? Voilà les problèmes dont le genre humain demande la solution à la religion et à la philosophie.

Un premier principe sur lequel tombent d’accord la philosophie de Platon et la religion du Christ, c’est que par delà les oppositions de ce monde changeant, au-dessus des vicissitudes du temps et des limitations de l’espace, avant l’humanité, avant la nature, avant toute existence finie, il y a l’Être éternel, immuable, source unique de tous les êtres, Dieu.

Dieu est un et triple tout ensemble. La raison de quelques sages avait soupçonné cette trinité mystérieuse ; l’Évangile la consacre, la théologie la définit, l’église l’enseigne à tous les hommes.

Dieu est donc Père, Fils et Saint-Esprit, c’est-à-dire qu’il est tout à la fois l’être, l’intelligence et l’amour ; mais, sous cette variété de la nature divine, quand la raison cherche à saisir ce qui en fait l’unité, l’essence, et, pour ainsi parler, le dernier fond, elle trouve que Dieu, c’est le bien.

L’idée du bien est donc la première des idées, comme Dieu est le premier des êtres. Or elle n’explique pas seulement l’essence de Dieu et le développement intérieur de ses puissances ; elle explique aussi son opération extérieure, qui est la création.

Dieu, en effet, est fécond et actif, bien qu’il n’agisse pas à la manière des hommes, qui épuisent dans le cercle d’un étroit espace et dans le cours d’une durée bientôt disparue l’effort inégal de leur imparfaite activité ; il agit selon ce qu’il est. Éternel et immense, sa puissance créatrice est indépendante de l’espace et du temps ; du sein de son éternité et de son immensité immobiles naissent, par sa volonté, le temps, l’espace, avec tous les êtres destinés à les remplir. Mais pourquoi Dieu veut-il être fécond et créateur ? car il est parfait en soi et se suffit pleinement à soi-même ; pourquoi donc sort-il de soi et fait-il être ce qui n’était point ? A cette question, le christianisme et Platon, la Genèse et le Timée font la même réponse : Dieu crée, parce qu’il est bon.

De toute éternité les types de tous les êtres possibles sont présens au regard de Dieu, car ils sont compris dans sa sagesse, dans ce Verbe incréé qu’il engendre éternellement et qui est la splendeur de sa propre essence. C’est là que Dieu se contemple soi-même, et, avec soi, tous les êtres idéalement enfermés dans les profondeurs de sa puissance infinie. Avant de vouloir

  1. « et ces vingt-deux livres (dit saint Augustin dans ses Rétractations), bien qu’ils traitent également des deux cités, empruntent cependant leur nom de la meilleure et sont appelés de préférence livres de la Cité de Dieu. » (Livre II, ch. 43.)