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alors, ainsi qu’on l’a remarqué[1], une ville toute romaine, n’ayant été rebâtie que sous Auguste, l’an 29 de Jésus-Christ. Les prédilections de saint Augustin furent donc pour la littérature latine, qu’il étudia avec passion. On en trouve en effet dans ses écrits une connaissance étendue dont il étale volontiers les trésors, même parmi ces austères problèmes de la théologie où le ressouvenir de Térence et de Virgile semble obséder son imagination en dépit de sa foi[2]. Quand il se fit chrétien, on pourrait croire que le désir et le besoin de lire les Écritures en grec et de s’initier à la théologie des Athanase et des Origène lui fit essayer de nouvelles luttes contre son dégoût. Mais il n’en est rien. Nous le voyons presser saint Jérôme, avec une insistance qui n’est pas désintéressée, de traduire en latin les interprètes grecs de l’Écriture, et particulièrement Origène. Nous savons qu’il ne lut l’histoire ecclésiastique d’Eusèbe qu’après que Rufin l’eut mise en latin[3]. Mais voici un témoignage décisif : saint Augustin, dans son traité de la Trinité, reconnaît hautement qu’il est incapable de lire et de comprendre les écrits publiés on grec sur ces hautes matières[4].

Il n’y aurait aucune témérité à conclure de là que saint Augustin n’a pas lu dans l’original ni les dialogues de Platon, ni les Ennéades, ni aucun monument platonicien ; mais les preuves directes abondent.

Quand saint Augustin nous raconte comment il prit connaissance pour la première fois des livres platoniciens, il nous dit qu’il les lut dans des traductions latines faites par Victorinus, rhéteur célèbre au temps de l’empereur Julien[5]. Or nous avons de bonnes raisons de croire que, dans la suite de ses études philosophiques, saint Augustin continua de se servir, pour connaître les doctrines de Platon, d’intermédiaires latins. Certes, s’il est un dialogue de Platon que saint Augustin ait goûté et approfondi, c’est le Timée. Eh bien ! dans la Cité de Dieu, il cite un passage capital du Timée, le sublime et célèbre discours que Dieu adresse aux dieux inférieurs pour les convier à prendre part à l’œuvre de la création ; il le cite, non dans l’original, mais dans la version de Cicéron. En d’autres endroits de sa Cité, saint Augustin, discutant cette opinion, soutenue parmi des interlocuteurs du Banquet, que nul dieu ne communique avec l’homme, loin de citer le dialogue de Platon et le texte, invoque le témoignage d’Apulée et lui emprunte ses expressions.

Est-ce à dire que saint Augustin n’ait pas fait une sérieuse étude de Platon

  1. Nous empruntons cette remarque à M. Saint-Marc Girardin, qui a consacré à saint Augustin, non sans grand profit pour nous, plus d’une étude approfondie. Voyez, dans cette Revue même (1842,15 septembre et 15 décembre) les piquans articles sur l’Afrique et saint Augustin, et, dans les Essais de littérature et de morale, un morceau exquis sur les Confessions.
  2. J’en citerai un exemple particulièrement curieux : au chapitre 26 du livre XIV de la Cité de Dieu, saint Augustin, décrivant ce qu’auraient été les chastes embrassemens de nos premiers païens dans le paradis s’ils avaient conservé leur innocence, emprunte à Virgile les traits de sa peinture, charmante il est vrai, mais bien profane, de la couche conjugale de Vénus.
  3. Voyez Lemain de Tillemont, Vie de saint Augustin, dans les Mémoires pour servir à l’hist. ecclés., t. XIII, art. 58, p. 143.
  4. De Trinit., lib. VIII, cap. 2.
  5. Confessions, livre VIII, ch. 2.