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mais aussi tolérant, et d’un peuple dur peut-être et trop encroûté dans ses préjugés de race (circonstance qui le rend souvent désagréable et brutal), mais à tout prendre humain, partisan de la légalité et ennemi des cruautés inutiles. Dans quelque recoin de la terre que sa fortune transporte M. Mitchel, aux Bermudes, au Cap, à la terre de Van-Diémen, il ne rencontre que d’honnêtes gens faisant strictement leur devoir, sans y ajouter aucune dureté de leur invention, ainsi que cela est fréquent chez d’autres peuples. Qu’aurait-il dit s’il avait été condamné par l’Autriche ou la Russie ? Là il aurait trouvé des officiers de police beaucoup moins polis, il aurait été soumis à un traitement beaucoup plus rude. M. Mitchel s’emporte fréquemment contre le despotisme aristocratique de l’Angleterre ; mais est-ce bien à lui de s’en plaindre, et ne doit-il pas à ce despotisme hautain, mais légitime après tout, les respects dont les subalternes n’ont cessé de l’entourer en prison, sur les pontons, sur la terre de l’exil ? C’est à cette fierté aristocratique, qui, en Angleterre, a maintenu les droits des hommes cultivés et bien élevés sur la foule grossière, que M. Mitchel doit d’avoir été traité comme un genlteman. S’il eût été dans un pays démocratique, il eût rencontré beaucoup moins d’égards. Les haines de M. Mitchel peuvent être fondées toutes les fois qu’il s’agit de la politique anglaise en général, et alors elles s’expliquent très naturellement, mais elles sont injustes lorsqu’il s’agit de lui personnellement. Le lecteur en jugera ; c’est sur le témoignage de M. Mitchel lui-même que nous nous appuierons.

Le 27 mai 1848, à quatre heures de l’après-midi, M. Mitchel fut dirigé de Dublin sur Spike-Island, prison de convicts située dans le port de Cork. Nous le laisserons raconter lui-même son départ : « Après avoir entendu ma sentence, j’étais revenu dans mon cachot et j’avais dit adieu à ma femme et à deux pauvres enfans. Quelques minutes après leur départ, un geôlier entra tenant à la main un habillement complet d’étoffe grossière et de couleur grise. — Mettez ces habits immédiatement, me dit-il. — J’exécutai aussitôt cet ordre. Une voix se fit entendre du bas de l’escalier : — Laissez-lui ses habits. — On m’ordonna de me déshabiller de nouveau, ce que je fis. Je demandai à quel endroit j’allais être conduit. — Je ne puis le dire, répondit le geôlier ; dépêchez-vous. — Je suis prêt, répondis-je, et je descendis l’escalier. » Dans la cour de la prison, un constable attacha au prisonnier une chaîne au pied, puis on monta dans une voiture fermée, escortée d’un détachement de cavalerie. Quelques minutes après, le condamné était à bord du bâtiment à vapeur le Shearwater.

Le commandant du Shearwater, homme de quarante-cinq ans environ, reçut poliment M. Mitchel, ordonna qu’on lui enlevât ses