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de nouveau. — Vous pouvez en être sûr, me répondit-il, je ne me moque pas mal d’eux tous. Je me plais beaucoup ici ; je n’ai pas été indisposé un seul jour. Je vais souvent à l’île la plus voisine visiter les canards du docteur Beck. Ah ! monsieur, il y a dans cette île deux ou trois filles de couleur qui sont réellement très belles, puis je corresponds quelquefois avec les journaux. J’ai des moyens particuliers de me faire envoyer tout ce qui m’intéresse sans qu’on en sache rien. Je me ferai un vrai plaisir, monsieur, de vous faire parvenir par cette voie ce dont vous pourrez avoir besoin. — Non, Garrett, lui dis-je, importuné à la fin ; laissez-moi. » Le vieux scélérat parut un peu déconcerté, mais sortit immédiatement, et comme je priai le docteur Hall de prendre à l’avenir des mesures pour me dispenser de ses visites, je ne le revis plus. »

Cependant cette vie monotone était interrompue çà et là par quelque incident. De loin en loin M. Mitchel recevait des nouvelles de la terre natale, nouvelles pénibles, mais qui, dans l’état de fièvre où il vivait, ainsi que le témoignent les élucubrations de haineuse métaphysique que contient son journal, étaient pour lui comme un baume rafraîchissant. L’homme est ainsi fait qu’une émotion douloureuse est presque un bienfait dans certaines circonstances, parce qu’elle nous fait rentrer dans les conditions ordinaires de l’humanité. L’esprit humain a aussi ses hydrophobies et sa rage, qu’une saignée pratiquée à propos peut dissiper. Si l’homme hait souvent, parce qu’il a beaucoup souffert, il est certain aussi qu’il hait moins lorsqu’il soutire. Les compagnons que M. Mitchel a laissés en Irlande partagent successivement son sort : la loi de haute trahison, vigoureusement appliquée par lord Clarendon, a produit l’effet que nous avons signalé ; elle a tué la révolution en détail en frappant successivement chacun de ses organes. M. Meagher a parlé, vite un mandat d’arrestation ; John Martin, rédacteur de l’Irish Felon, a élevé la voix un peu trop haut, il est emprisonné ; M. Duffy, rédacteur de la Nation, et MM. O’Dogherty et Williams, rédacteurs de l’Irish Tribune, ont subi le même sort. Tous les journaux ont été supprimés ; la loi de l’habeas corpus a été suspendue. Puis les procès commencent, procès dont l’issue n’est pas douteuse. Le premier qui succombe, c’est le compagnon préféré de M. Mitchel, John Martin, condamné à dix ans de transportation. Cependant il est évident que quelle que soit la surveillance de l’Angleterre, l’Irlande est en fermentation et qu’une insurrection est sur le point d’y éclater. Que s’y passe-t-il ? comment le savoir ? Défense expresse a été faite de communiquer aucun journal ou écrit politique à M. Mitchel ; mais une main obligeante jette dans son appartement un paquet de journaux. Une insurrection a éclaté dans le comté de Tipperary et a été promptement réprimée. Smith O’Brien, Meagher, O’Donoghue et Térence Mac Manus ont été