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par lord Grey, que le gouvernement n’enverrait de convicts dans aucune colonie sans le consentement des habitans, un ordre du conseil avait décrété l’envoi au Cap de plusieurs cargaisons de criminels. Grande fut l’agitation parmi cette population morale, austère, en partie d’origine hollandaise. Les rigides Boers se soulevèrent, ils déclarèrent qu’ils ne permettraient pas que leurs demeures et leurs propriétés fussent souillées par le voisinage de misérables plus dangereux que les Cafres eux-mêmes. Jusqu’alors ils avaient vécu tranquilles et heureux, d’une vie patriarcale, connaissant à peine le meurtre, le vol et les mauvaises mœurs, et voilà qu’on envoyait à cette population calviniste tous les prédestinés à la damnation, tous les élus de Satan ! Si les progrès que le gouvernement anglais méditait pour la colonie étaient l’introduction du vol, du viol, de la prostitution, de l’ivrognerie, les colons le dispensaient de son bon vouloir à leur égard ; si d’autre part il avait l’intention de se débarrasser en leur faveur de tous les drôles qui gênaient la société anglaise, et de faire du Cap un réservoir des égouts de Londres, la colonie était en droit de légitime défense, et cet arbitraire égoïste autorisait la résistance la plus énergique. Les habitans résistèrent donc, forcèrent le conseil législatif à se dissoudre, et arrachèrent au gouverneur, sir Harry Smith, la promesse qu’à l’arrivée du Neptune, aucun convict ne descendrait à terre. La population tout entière se forma pour ainsi dire en comité d’insurrection, et jura solennellement de n’employer aucun convict, de ne rien vendre à un convict, de mettre hors la loi tout traître qui aurait secouru, logé, employé un convict. Aussi, lorsque le Neptune arriva dans le port, le commandant dut-il se contenter de jeter l’ancre dans la baie et d’attendre les instructions du gouverneur. Il ne faut pas demander si M. Mitchel était dans le ravissement ; cette querelle allait peut-être devenir fatale à l’Angleterre ? Il suivait la lutte avec passion, et poussait en l’honneur de l’insurrection de nombreux go on, go on, qu’il aurait bien voulu pouvoir lancer à haute voix, afin d’encourager la résistance ; il en eut du reste l’occasion une ou deux fois. Un officier de santé du port, le docteur Stewart, vint le trouver pour lui dire qu’en ce qui le concernait le peuple ne s’opposait point à son débarquement, et qu’il pouvait descendre à terre s’il lui plaisait. M. Mitchel refusa stoïquement en disant que les colons ne devaient pas faire d’exceptions en faveur d’un individu, qu’ils avaient engagé une lutte légitime, et que pour sa part il se réjouissait fort de les voir déterminés à résister à l’insulte abominable que leur avait faite le gouvernement anglais. Il profite ainsi de toutes les circonstances qui s’offrent à lui pour attiser le feu autant qu’il le peut.

Sir Harry Smith se trouvait fort embarrassé. Il ne pouvait sans danger autoriser le débarquement des convicts ; il ne pouvait sans