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nouveaux ordres du gouvernement renvoyer le Neptune dans une autre colonie. Le Neptune pouvait donc rester six mois encore en quarantaine forcée, et se dresser en face des colons comme une menace permanente. La vue quotidienne de ce vaisseau détesté entretenait l’agitation, qui allait chaque jour en croissant. Dans Simonstown, au Cap, dans toutes les villes et dans tous les villages de la colonie, les habitans tinrent des meetings où ils prirent des résolutions de la plus grande importance, et qui indiquaient qu’ils étaient résolus à une lutte acharnée. Ainsi les habitans de Simonstown signèrent un engagement par lequel il était défendu à tout commerçant de vendre n’importe quelle denrée ou quelle marchandise aux personnes à bord du Neptune ; des engagemens semblables furent pris dans tout le pays. Lorsqu’on voyageait dans l’intérieur, on ne pouvait obtenir ni logement, ni nourriture, si l’on ne présentait un certificat en langue anglaise ou hollandaise de l’anti-convict association de son district, déclarant qu’on avait souscrit l’engagement que nous avons rapporté et qu’on y avait été fidèle. À la question des convicts vinrent bientôt s’en mêler d’autres auxquelles celle-là avait ouvert la porte, et les colons demandèrent à plusieurs reprises, afin d’empêcher qu’à l’avenir on ne disposât d’eux sans leur permission, un gouvernement représentatif.

M. Mitchel rapporte diverses anecdotes relativement à l’anti-convict association, qui prouvent mieux que toutes les dissertations quel vigoureux esprit politique possèdent les Anglais et les Hollandais. L’équipage du Neptune, à qui les habitans de Simonstown avaient coupé les vivres, était menacé de mourir de faim. Un des employés du vaisseau descendit à terre, prit toute sorte de précautions pour qu’on ne supposât point qu’il appartenait au Neptune, et entra dans la boutique d’un boucher pour acheter du mouton. Il feignit d’être fort en colère, se donna pour l’économe d’un autre vaisseau, la Minerve, qui se trouvait dans le port, et demanda si les passagers et l’équipage devaient mourir de faim parce qu’une cargaison de gredins se trouvait dans le port. Le boucher ne se laissa pas éblouir par cette fausse colère et soumit l’acheteur à un sévère examen, qui n’amena aucun résultat fâcheux pour le Neptune. Toutes les ruses n’étaient cependant pas couronnées du même succès, car les colons soumettaient tous les acheteurs à un examen terrible. Malheur au marchand qui se laissait attendrir par un acheteur suspect, ou qui se laissait toucher par un sentiment de lucre ou de convoitise ! Lorsque les chefs de l’anti-convict association avaient connaissance de son délit, ils lui refusaient à son tour l’eau et le sel, le retranchaient pour ainsi dire de la communauté et défendaient à tous leurs compatriotes de faire aucune affaire avec lui. Cet ordre rigoureux était rigoureusement exécuté. L’aumônier du Neptune entre un jour dans