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whigs le mirent à la porte en le traitant d’incendiaire, de loup revêtu de la peau du mouton, de monomane, etc. Expulsé du Whig Review, il va frapper à porte de la Démocratie Review, combat les whigs et les démocrates à vieilles tendances, et fait connaissance avec M. Douglas, le chef de la Jeune-Amérique, a un petit homme de quarante ou quarante-cinq ans, trapu, vigoureux, éloquent et intelligent, démocrate à outrance, et, pour un Américain, assez vigoureux ennemi de l’Angleterre. » Au milieu de tout cela, il se marie, perd ses enfans, est sur le point de perdre sa femme, rit, pleure, aime, hait, intrigue. Il semble voir les pirouettes d’un derviche tourneur. Véritablement il faut user d’images baroques pour donner une idée de la nature de cet homme. On dirait une âme semblable à ces esprits condamnés à tourbillonner sans cesse, enfermée dans un corps composé d’une substance élastique qui ne peut toucher terre sans rebondir, ayant du mercure en place de sang, et pour système nerveux les fils d’un télégraphe électrique. Intelligent, il l’est incontestablement, comme le prouve un certain discours prononcé en Amérique. « L’Irlande, y est-il dit, peut être l’avant-garde ou la Vendée de la révolution européenne. Jetez une armée sur son territoire, et vous anéantirez matériellement et financièrement l’empire britannique ; mais que la révolution éclate en Italie, qu’elle soit présentée en Irlande sous un jour faux par les Anglais et les prêtres, et l’Irlande sera la plus mortelle ennemie du républicanisme en Europe. »

M. Mitchel n’a couru sur la terre de Van-Diémen aucun des dangers qu’il redoutait. Les convicts et les bushrangers le laissèrent parfaitement tranquille. Il mena pendant plus d’une année une existence assez agréable en compagnie de son ami Martin. Il rencontra d’ailleurs plus d’une fois sur cette terre lointaine l’Irlande et la race celtique, et avec l’imagination qui le caractérise, il ne lui fut pas difficile de se figurer qu’il était sur le sol de la patrie. Nous avons mentionné la répugnance qu’éprouvent les Celtes à changer leurs habitudes et le soin avec lequel ils s’isolent, en compagnie de leurs souvenirs, sur la terre étrangère. M. Mitchel en eut la preuve dans la ferme de M. Kenneth Mackenzie, highlander originaire du comté de Ross et établi depuis longtemps en Tasmanie avec sa famille. Rien ne manquait du vieil ameublement celtique : dans la salle à manger était le rouet de la ménagère, et sur les murs brillait une vieille dague celtique ciselée qu’une des jeunes filles dégaina à la façon des highlanders pour la montrer aux étrangers. La mère était une vraie Celte, parlant mieux la langue erse que l’anglais. Tous les noms des enfans étaient celtiques et indiquaient une famille qui n’avait subi aucune influence ni aucun mélange, et cette famille n’était pas la seule ; M. Mitchel en mentionne une autre, la famille Connell, originaire du comté de Cork, dont la ménagère, mistress Connell, ne le