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qui, « outre son avarice, méprisait les belles-lettres et tout ce qui peut contribuer à la politesse, et ne croyait pas que les dames fussent dignes de son estime, si par leurs intrigues et leurs malices elles ne trouvaient le moyen d’acquérir sa confiance[1]. »

Au témoignage d’autrui il faut enfin joindre celui de Mazarin lui-même. Or nous voyons par sa correspondance avec la reine, durant son séjour hors du royaume en 1651, de quelles suspicions jalouses il poursuit Fouquet, Servien, Letellier et surtout de Lyonne, placés ou maintenus par lui auprès de la régente pour servir ses intérêts et préparer son retour. L’amertume de ses plaintes constate que si l’homme d’état attend quelque chose de la solidarité politique qui lie ces agens à ses destinées, il ne compte manifestement sur aucun dévouement personnel. Rien d’étonnant dès lors que nulle voix amie ne vienne rompre l’éclatant concert d’injurieuses accusations formé par ses adversaires implacables. En présence de tant d’écrits diffamateurs, il était difficile que la postérité ne poussât pas la rigueur jusqu’à l’injustice, et qu’elle ne perdit pas de vue les remarquables qualités de Mazarin pour ne voir que ses défauts. Ainsi est-il arrivé pendant tout le cours du XVIIIe siècle et durant la première partie du nôtre. De nos jours, une réaction s’est produite en sens inverse, et je crois qu’elle tend à son tour à dépasser la mesure de la vérité. Quelques esprits auxquels ne manquent assurément ni la science ni l’élévation voudraient placer Mazarin à côté de Richelieu, peut-être même au-dessus de lui. Devenu sceptique par fatigue et par déception, notre temps honore surtout le succès. Celui-ci est à nos yeux une si grande chose, que nous inclinons fort à croire qu’on ne l’obtient jamais que par de grandes qualités, et que nous faisons toujours des esprits éminens de ceux auxquels n’a pas manqué cette consécration souveraine. Le succès a donc grandi au-delà de sa juste mesure le ministre mort au sein d’une omnipotence que Louis XIV même ne lui aurait jamais disputée, tant il avait identifié la royauté avec lui-même. Les expédiens souvent très vulgaires de Mazarin, ses ruses qui viennent fréquemment compromettre ses propres intérêts et l’enlacer dans des embarras d’où il ne sort que par les fautes de ses ennemis, son ardeur à garder le pouvoir lors même que celui-ci demeure stérile entre ses mains, tout cela a été transformé ou commenté avec plus de subtilité que d’exactitude. On a enfin attribué à son initiative personnelle les traités que Gustave-Adolphe avait préparés par son sang et Richelieu par son génie, traités glorieux que celui-ci avait en quelque sorte écrits d’avance pour ses successeurs, quels qu’ils pussent être, en élevant sa patrie au plus haut

  1. Mémoires pour servir à la vie d’Aune d’Autriche, année 1647.